Février : le Mois de l’histoire des Noirs

Cette année, l’Association for the Study of African American Life and History a choisi comme thème les femmes noires dans la culture et l’histoire des États-Unis. L’association a décrit son thème de la façon suivante : « en situation d’esclavage et de liberté, les batailles des femmes noires ont été au cœur de l’expérience humaine, et leurs victoires contre le racisme et le sexisme rendent hommage à nos qualités humaines. »

L’histoire des Noirs, plus particulièrement celle des femmes noires, n’a jamais eu sa place dans l’Histoire.

Selon Audrey T. McCluskey, professeure en études afro-américaines et en études de la diaspora africaine à l’Université de l’Indiana, à Bloomington, « on passe sous silence depuis trop longtemps l’histoire des femmes noires. Même si les travaux d’historiennes reconnues, notamment Darlene Clark Hine et Deborah Gray White, réussissent à rendre ce sujet plus populaire, il en faudra beaucoup plus pour que cette histoire remplie de luttes, de courage, de déception et d’obstacles inlassablement surmontés puisse être transmise à un large public. Il ne faut pas uniquement en parler durant le Mois de l’histoire des Noirs, il faut en faire un sujet d’étude à part entière dans toutes les écoles. Les étudiants verront leur vie s’enrichir au contact de cette histoire et ils en sortiront grandis. »

L’histoire de Mary Ann Shadd Cary, une pionnière noire peu connue de nos jours, est une des histoires qui a malheureusement été pratiquement oubliée. Comme de nombreux Noirs libres et esclaves en fuite, elle est venue au Canada après l’adoption par les États-Unis de la Fugitive Slave Act de 1850. Cette loistipulait que les esclaves en fuite n’étaient plus libres dans les états du nord. Par des formulations vagues, la loi laissait entendre que même les Noirs libres étaient menacés. Nombreux sont ceux pour qui le Canada représentait un endroit où ils pourraient échapper aux chasseurs d’esclaves et au système judiciaire qui donnait pouvoir à ces chasseurs.

Mary Ann, une jeune enseignante du Delaware, a déménagé dans la ville actuelle de Windsor, en Ontario, en 1851, pour enseigner aux enfants d’esclaves en fuite qui vivaient dans une extrême pauvreté. Les parents et les dirigeants communautaires de Windsor voulaient créer une école réservée aux Noirs. Mary Ann s’est élevée contre cette forme de ségrégation. Elle a fait valoir que les écoles pour les Noirs et leurs règlements étaient le produit de l’oppression omniprésente aux États-Unis. Elle croyait que ces établissements n’avaient pas leur place dans le système canado-britannique, puisque l’égalité était garantie par la loi. Elle pensait également que la ségrégation favoriserait les préjugés. Au risque de perdre son seul gagne-pain, Mary Ann a écrit aux fondateurs de l’école et a déclaré que selon elle, le fait d’essayer de gagner l’appui de la collectivité pour un tel projet était tout à fait répréhensible.

Mary Ann a gagné sa bataille et a pu diriger une école mixte. Au bout du compte, sans qu’elle en soit responsable, seuls des élèves noirs fréquentaient son école. Elle a toujours clamé que l’école n’était pas réservée aux Noirs et qu’elle accueillerait avec joie des élèves blancs. Mary Ann protestait déjà contre la ségrégation plus d’un siècle avant que l’on prenne officiellement position contre les écoles qui faisaient une discrimination fondée sur la race, en 1964.

Mary Ann Shadd est tout de suite tombée en amour avec le Canada.  « Je suis ici depuis plus d’une semaine, et j’aime le Canada. Je ne me sens pas jugée », a­t-elle écrit dans une lettre à son frère. En raison de la menace que faisait planer la Fugitive Slave Act, Mary Ann a écrit un petit livre dans lequel elle encourageait les Afro-Américains à immigrer au Canada, pays où les lois ne faisaient pas de distinction fondée sur la race ou la couleur de la peau et où il y a des possibilités inconnues aux États-UnisA Plea for Immigration; or, Notes on Canada West visait à présenter le Canada comme étant un pays où les Noirs pouvaient être traités comme des égaux et vivre dans la prospérité. Elle voulait ainsi fournir aux immigrants éventuels des renseignements au sujet du Canada, à une époque où les témoignages directs étaient rares. Son livre, Notes on Canada West, dresse un portrait unique de notre pays, du point de vue d’une femme noire nouvellement établie qui souhaitait renforcer et maintenir l’égalité raciale dans son nouveau pays.

Mary Ann a aussi publié son propre journal en 1853, intitulé Provincial Freeman. Tout commeNotes of Canada West, il présentait le Canada comme une terre promise pour les Afro-Américains. Le journal Provincial Freeman était très progressiste pour son époque. Elle y publiait des articles qui visaient à faire avancer la cause de l’égalité des sexes en conférant des pouvoirs aux femmes et d’autres sur le mouvement de défense des droits des femmes.  Les historiens ont décrit Mary Ann Shadd comme étant la première femme rédactrice en chef d’un journal en Amérique du Nord. Il est clair qu’elle a également réussi, par ce média unique, à faire avancer les causes de l’égalité raciale et de l’égalité des sexes au Canada. Mary Ann a par la suite quitté le Canada et est devenue la seule femme à recruter des troupes durant la guerre de Sécession et la première femme à étudier le droit à la Howard University.

Dans son dernier éditorial, elle a conclu par ces mots : Femmes de couleurs, nous avons un mot à dire – en ce qui a trait à la rédaction, nous avons cassé la barrière sociale, qu’on le veuille ou non, pour les vôtres en Amérique; alors allez-y, prenez la parole . »

Mary A. Shadd, A Plea for Emigration, or, Notes of Canada West, (réimprimé, 1852; éd. Richard Almonte, Toronto, 1998), p. 15.

Jim Bearden et Linda Jean Butler, Shadd: The Life and Times of Mary Shadd Cary, (Toronto, 1977), p. 34.

Shadd, p. 62.

Bearden et Butler, p. 45.

Bearden et Butler, p. 77 et 81.

Robin W. Winks, The Blacks in Canada, A History, p. 376.

Bearden et Butler, p. 26.

Shadd, p. 43.

Shadd, p. 43.

Bearden et Butler, p. 139.

Bearden et Butler, p. 206 et 211.

Bearden et Butler, p. 163.