Notre patrimoine en détérioration

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Au cas où vous l’ignoriez, la Société royale du Canada a publié la semaine dernière son rapport du comité d’experts sur les bibliothèques, les archives et la mémoire collective du Canada. Son analyse de l’état actuel de Bibliothèque et Archives Canada (BAC) est pour le moins cinglante.

Le comité d’experts a utilisé des mots comme « embarras » et « démarche à éviter » pour décrire ce qui est arrivé à l’institution responsable de notre patrimoine documentaire collectif. La frustration au sein du milieu de l’éducation au Canada provient en partie de la fusion des Archives nationales avec la Bibliothèque nationale en 2004 et des compressions budgétaires de 2012.

« En Australie, en Nouvelle-Zélande et aux États-Unis, la création de BAC est présentée comme un exemple révélateur de démarche à éviter dans le milieu des bibliothèques et des centres d’archives », ont déclaré les auteurs.

La fusion promettait un accès facile et intégré à notre patrimoine documentaire national, mais, selon les auteurs, au lieu de favoriser la convergence, la fusion a semé la discorde entre les bibliothécaires, les archivistes et les gestionnaires de documents.

« On nous a rapporté que le moral est au plus bas à BAC et que ce déficit est attribuable aux problèmes de ressources humaines associés au fusionnement des deux organisations ».

Ajoutez à cela, les compressions budgétaires le 30 avril 2012; un jour est familièrement connu comme « le lundi noir » parmi les archivistes. Une réduction de 23 % du personnel à temps plein de BAC est prévue d’ici 2016. La Société royale a qualifié ces réductions de services de « draconiennes ».

Dans le rapport, M. Ronald Rudin, professeur d’histoire à l’Université Concordia, relate en détail l’expérience frustrante qu’il a récemment vécue à l’égard de BAC. Avec la perte de personnel spécialisé et l’absence d’accès à des outils d’aide à la recherche numérisés, M. Rudin a finalement dû se rendre à Ottawa une deuxième fois afin de réaliser sa recherche.

« Je suis certain que d’autres ont vécu des situations plus dramatiques, mais considérant que j’utilise les services de BAC depuis plus de quarante ans, je peux très facilement comprendre comment ces nombreux obstacles pourraient décourager une personne utilisant ces services pour la première fois ».

M. Rudin a précisé qu’il n’avait aucune doléance à formuler au sujet des membres du personnel de BAC, lesquels « étaient tous très courtois et nettement débordés ». Il a toutefois ajouté que le manque de personnel avait rendu son expérience inutilement compliquée.

Le rapport met aussi l’accent sur quelques programmes qui ont été soit éliminés, soit réduits, en raison des compressions budgétaires de 2012. On a éliminé le Programme national de développement des archives, qui a permis de soutenir plus de 800 dépôts d’archives à travers le Canada au cours des 26 dernières années, tout comme on a abandonné les expositions publiques et le projet du Musée du portrait. La numérisation se fait à pas de tortue (l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université estime qu’avec le financement actuellement consenti pour la numérisation, il faudrait à BAC de 300 à 700 ans pour numériser ses ressources documentaires publiées). De plus, puisque le budget de BAC prévu pour les acquisitions a été sabré, de plus en plus de nos trésors nationaux se retrouvent entre les mains de collectionneurs privés étrangers.

La Société royale a émis un certain nombre de recommandations concrètes qui pourraient améliorer de façon spectaculaire la situation de BAC.

« Nous sommes sensibles aux défis que doit affronter BAC à la suite des compressions budgétaires, tout comme le sont la majorité des intervenants institutionnels de BAC qui, puisqu’ils ont connu le même sort, savent que des changements sont à prévoir afin de pallier la réduction des ressources », ont écrit les auteurs.

« Le dialogue – aspect que BAC a négligé au cours de la dernière décennie et plus – est un élément essentiel, car il engendre souvent des solutions efficaces et les intervenants sont conscients qu’en étant impliqués dans cette discussion ils pourraient contribuer à l’élaboration de procédés visant à pallier les lacunes de service ».