Mois de l’histoire des Noirs – Viola Desmond

L’année dernière, pour souligner le Mois de l’histoire des Noirs, nous vous avions raconté l’histoire de Mary Ann Shadd Cary, pionnière du mouvement des droits à l’égalité au Canada. Nous l’avons fait principalement parce que, en général,  l’Histoire fait peu de cas de l’histoire des Noirs, plus particulièrement celle des femmes noires.

Mme Audrey T. McCluskey, professeure en études afro-américaines et en études de la diaspora africaine à l’Université de l’Indiana, à Bloomington, a confirmé cette impression lorsque nous avons communiqué avec elle l’année dernière.

« On passe sous silence depuis trop longtemps l’histoire des femmes noires », a écrit la professeure McCluskey. « Il en faudra beaucoup plus pour que cette histoire remplie de luttes, de courage, de déception et d’obstacles inlassablement surmontés puisse être transmise à un large public. »

En gardant à l’esprit ces propos inspirants, nous aimerions placer sous les projecteurs une autre femme noire très courageuse. Elle s’appelle Viola Desmond et, en 1946, elle a causé tout un émoi.

Viola Desmond était une femme noire, née à Halifax, et qui était propriétaire d’un salon de coiffure. Un jour qu’elle se rendait à Sydney par affaires, elle a eu des ennuis mécaniques avec sa voiture à New Glasgow. Après avoir réservé une chambre dans un hôtel, elle a décidé d’aller voir un film au cinéma. Lorsqu’elle a demandé un billet pour un siège au parterre, on lui a dit qu’elle devait s’asseoir au balcon (apparemment, dans ce cinéma, les Noirs étaient contraints de s’asseoir au balcon, tout comme ils devaient, dans les autobus, se contenter d’une place à l’arrière).1

« Viola Desmond s’est tout de suite aperçue qu’on lui avait refusé un siège au parterre parce qu’elle était noire. Spontanément, elle a décidé de protester contre cette ségrégation raciale : elle est retournée à l’intérieur et est allée s’asseoir au parterre, où il restait des places. »2

Le gérant et la police furent appelés immédiatement, et Mme Desmond a été expulsée du cinéma et comme si ce n’était pas assez, elle a ensuite dû passer 12 heures en prison.3

Au tour du juge de se prononcer

L’avocat de la Couronne a dû fouiller longuement dans la jurisprudence parce qu’il a décidé de l’accuser d’avoir voulu frauder le gouvernement de la Nouvelle-Écosse. Vous avez bien lu, frauder!

Lorsque Mme Desmond a donné un dollar pour payer son billet au parterre, on lui a rendu 70 cents en lui demandant d’aller s’asseoir au balcon. Un billet au parterre dans la section « réservée aux Blancs» aurait coûté 40 cents, dont quatre cents de taxes. La poursuite a allégué que Mme Desmond avait l’intention de frauder le gouvernement d’un cent.4

Personne n’a informé Mme Desmond de ses droits, et lorsqu’elle s’est présentée dans la salle d’audience le lendemain matin, elle n’avait pas d’avocat. Elle a dû payer une amende de 26 $.5

La Nova Scotia Association for the Advancement of Coloured People a amassé de l’argent pour contester sa condamnation, et son affaire s’est rendue jusqu’à la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse.

Malheureusement, justice n’a pas été rendue. Mme Desmond a perdu sa cause en raison d’un détail de procédure.

Elle a peut-être perdu sa bataille juridique, mais elle fait toujours partie de notre histoire et mérite qu’on se souvienne d’elle. Le Canada reste le pays où les esclaves noirs fugitifs trouvaient refuge. Pour les hommes et les femmes noirs enfin libres, le Canada était pour eux un endroit où leur liberté était protégée tandis que la Fugitive Slave Act (Loi sur les esclaves fugitifs) aux États-Unis ramenait leurs frères et sœurs à l’esclavage. Nous pouvons être fiers de cette partie de notre héritage.

Cependant, on ne peut passer sous silence les moments plus sombres de notre histoire. La ségrégation a bel et bien existé de ce côté-ci de la frontière.

Viola Desmond continue de nous habiter parce que son histoire nous rappelle le nombre incalculable d’hommes et de femmes noirs qui ont été victimes de discrimination, et qui, à ce jour, continuent de lutter contre l’ignorance et les préjugés. Elle est toujours présente dans nos vies parce que c’était une femme forte et courageuse, aux idées progressistes – qui refusait le statu quo et qui refusait de se faire dire qu’elle était une citoyenne de seconde zone.

Viola Desmond est une héroïne canadienne. Rendons-lui hommage, ainsi qu’à tous les autres qui ont lutté en faveur de l’égalité.

En 2010, on a accordé un pardon posthume à Viola Desmond.6


[1] Bingham, R., Viola Desmond, L’Encyclopédie Canadienne

[2] Backhouse, C., Racial Segregation in Canadian Legal History

[3] Bingham, R., Viola Desmond, L’Encyclopédie Canadienne

[4] Backhouse, C., Racial Segregation in Canadian Legal History

[5] Idem

[6] Black Cultural Centre for Nova Scotia [site disponible en anglais seulement]