La fierté au sein de la fonction publique : pas qu’une simple fête arc-en-ciel

Un retour sur John Watkins et la purge 2SLGBTQ+ effectuée par le gouvernement canadien

Par Kay Hacker

Avertissement de contenu : Le présent article contient des descriptions explicites de l’homophobie et de la transphobie systémique au sein d’une institution, ainsi que des descriptions non détaillées d’actes de violence contre des membres de la communauté LGBTQ2S+. Il fait aussi état de torture et de décès sans entrer dans les détails. Enfin, il aborde en profondeur la violence et la brutalité policière de la GRC.

            Tous les mois de juin, on sort le drapeau arc-en-ciel pour une célébration tous azimuts de l’amour sous toutes ses formes – c’est une façon de célébrer nos frères et sœurs lesbiennes, gais, personnes bisexuelles, transgenres, queers, bispirituelles, queers et trans (LGBTQ2S+) dans toute leur belle diversité. Bien des gens se demandent : pourquoi le mois de juin précisément?

En fait, le mois de la fierté n’est pas toujours juin. En effet, à Vancouver, la fierté est généralement célébrée au mois d’août! Cette année, Vancouver fêtera le 44e anniversaire de la fierté. Mais, internationalement, le mois de juin est connu comme le mois de la fierté depuis les émeutes de Stonewall qui ont éclaté à New York. Le Stonewall Inn est un lieu de rencontre connu des personnes LGBTQ2S+. Dans les années 1960, les clients de ce bar se faisaient fréquemment harceler par les policiers. Lorsque la police y a fait une descente, en 1969, les clients (dont beaucoup étaient des femmes trans de couleur) ont contre-attaqué et se sont soulevés contre la brutalité policière.

            Voyez-vous, la fierté, c’est plus qu’une fête arc-en-ciel et plus qu’une célébration : la fierté nous rappelle qu’il faut continuer de nous battre. La fierté nous rappelle que nous, les personnes LGBTQ2S+, sommes encore là : c’est une façon de riposter et de nous affirmer devant tous ceux qui ont tenté de nous éliminer.

            Laissez-moi vous parler de cette lutte. Laissez-moi vous parler de l’histoire des membres LGBTQ2S+ de la fonction publique.

            Dans les années 1950 et 1960, le gouvernement canadien s’est efforcé de chasser de la fonction publique tous les « homosexuels soupçonnés » (ce n’est pas le terme qu’on emploierait aujourd’hui). Comme la majorité des fonctionnaires étaient des hommes, on s’est d’abord attardé aux hommes qui avaient des relations sexuelles avec d’autres hommes ainsi qu’aux hommes qui ne se comportaient pas de la façon attendue vu leur genre, ceux qui par exemple ne portaient pas les bons vêtements. Les femmes qui avaient des relations sexuelles avec d’autres femmes et dont le comportement n’était pas conforme au rôle lié à leur genre étaient elles aussi persécutées.

Pourquoi? Parce que ces personnes ne remplissaient pas les attentes de la société, et on trouvait que c’était dangereux. C’était la guerre froide, et, pour le gouvernement canadien, c’était Nous contre Eux. Il ne pouvait pas y avoir « d’homosexuels » de notre côté; donc, forcément, Ils devaient être contre Nous.

La présence de personnes LGBTQ2S+ au sein de la fonction publique, et particulièrement au sein de l’appareil diplomatique, était perçue comme une menace à la sécurité nationale, car les fonctionnaires gais pouvaient être victimes de chantage. Une personne qui ne respectait pas parfaitement les normes liées au sexe lui ayant été assigné à la naissance et qui n’était pas attirée par le bon sexe, et de la bonne façon était exposée à la violence et à la discrimination, voire à des poursuites au criminel. Donc, selon le gouvernement canadien, la meilleure façon de rendre la fonction publique moins vulnérable au chantage était de trouver et d’éliminer tous les maillons faibles (c.-à-d. les personnes LGBTQ2S+) avant que les Russes ne le fassent.

Même si rien ne permettait de croire que quelqu’un avait réussi à faire chanter des fonctionnaires LGBTQ2S+, la GRC a tout de même entrepris une vaste campagne pour débusquer tous les fonctionnaires soupçonnés de « perversion ». Elle a surveillé les établissements LGBTQ2S+ et photographié les clients, elle a fait passer des entrevues brutales à des fonctionnaires qui étaient gais ou soupçonnés de l’être et s’est immiscée dans leur vie privée. Je vous invite à voir chaque infraction qui a été commise contre les droits humains fondamentaux de tous ces gens comme un acte de violence. Craignant pour leur emploi et leur sécurité, les fonctionnaires LGBTQ2S+ ont été forcés de se cacher. Des milliers « d’homosexuels soupçonnés » ont été fichés dans le cadre de ce qu’on appelle aujourd’hui la purge LGBTQ.

Tout cela est arrivé au moment où l’Alliance de la Fonction publique du Canada prenait forme et commençait à défendre les fonctionnaires. Cela s’est produit quand mes grands‑parents terminaient leurs études secondaires. Vous étiez peut-être en vie quand c’est arrivé; vous connaissez certainement au moins une personne qui a vécu cela.

            Je vous raconte seulement une petite partie de l’histoire, aujourd’hui. Je veux vous parler de tant de choses, et je sais qu’il nous reste encore beaucoup à découvrir. En même temps, j’ai eu beaucoup de difficulté à rédiger le présent article. Chaque histoire personnelle que j’ai lue, chaque article dans lequel on tente d’expliquer l’étendue de la douleur alors qu’elle n’a pas de fin… tout ça m’a donné un coup de poing au ventre. Il s’agit de ma communauté – tant la communauté LGBTQ2S+ que celle de la fonction publique.

Pour terminer, j’aimerais vous rapporter la partie de l’histoire qui m’a le plus touché et qui me hante encore aujourd’hui : l’histoire d’un homme, d’une victime de la purge LGBTQ. Selon moi, toute la purge LGBTQ se résume dans son expérience.

J’aimerais vous parler de John Watkins.

            John Watkins a été le premier ambassadeur du Canada à Moscou. Selon tout le monde, il faisait très bien son travail; il a notamment planifié une réunion historique entre Lester B. Pearson, qui était alors ministre des Affaires extérieures, et Nikita Khrouchtchev, dirigeant de l’Union soviétique. C’était un bon diplomate, un homme bon, populaire au sein de la fonction publique, qui avait toujours une histoire à raconter. C’était aussi un homme attiré par d’autres hommes. John Watkins est décédé en 1964, à l’âge de 62 ans, dans un hôtel de Montréal, victime d’une crise cardiaque. Il est décédé après avoir été interrogé pendant quatre heures par la GRC. À ce moment-là, il avait été sous surveillance constante et interrogé tous les jours pendant trois ou quatre heures depuis presque un mois.

            Selon moi, un interrogatoire de 28 jours, c’est de la torture. La GRC a classé cette information sous la rubrique « besoin de savoir »; elle a déclaré que la cause de son décès était une crise cardiaque impromptue et a passé sous silence la réalité de la situation jusqu’en 1981. La purge LGBTQ2S+ au sein de la fonction publique s’est poursuivie jusqu’au début des années 1970; au sein de la GRC et de l’armée, elle a duré jusque dans les années 1990.

            Les victimes se sont battues des années afin de faire reconnaître la situation. Le gouvernement a présenté ses excuses en 2017, un an avant que j’entre dans la fonction publique, et a versé une indemnité à de nombreuses personnes qui avaient été affectées par la situation.

            Ce n’est pas de l’histoire ancienne – c’est encore frais à la mémoire. Pendant que nous célébrons la fierté, cette année, pendant que nous valorisons les personnes LGBTQ2S+ qui font partie de nos vies, nous devons nous rappeler ce qui est arrivé dans le passé : la lutte sanglante et brutale pour la reconnaissance et les nombreux obstacles que la communauté LGBTQ2S+ a dû franchir afin de survivre. Les membres de l’AFPC doivent reconnaître la violence dont ont été victimes les membres de la communauté LGBTQ2S+ et tout faire pour ne pas la reproduire. Le syndicat n’a pas été en mesure de protéger les membres LGBTQ2S+ par le passé. Cette fois, nous ferons mieux. Nous devons faire mieux.

            Cette année, durant le Mois de la fierté, pendant que vous collez des autocollants et arborez des tatouages temporaires d’arc-en-ciel, je vous demande de vous souvenir de John Watkins. Souvenez-vous d’où nous venons. Les alliés doivent apprendre à vivre avec cette histoire tragique et faire une place à notre douleur, parce que les fonctionnaires LGBTQ2S+ ne peuvent pas échapper à cette tragédie. Elle fait partie du fardeau à porter lorsque nous choisissons de devenir fonctionnaires, et c’est un fardeau encore plus lourd à porter pour les fonctionnaires qui déclarent appartenir à la communauté LGBTQ2S+ et qui sont fiers de l’être.

Nous devons tous travailler pour un avenir meilleur. La lutte pour les droits des personnes LGBTQ2S+ n’est pas terminée simplement parce que le mois de juin est passé. Les personnes LGTBQ2S+ vous ont invités à vous joindre à la fête. Maintenant, nous vous invitons à entrer dans la lutte.

Kay Hacker – section locale 20278.

Bibliographie :

Levy, R. (3 octobre 2018). « Purges dans le service public canadien pendant la guerre froide : le cas des personnes LGBTQ », L’Encyclopédie canadienne, consulté en juin 2022 sur https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/purge-lgbt-au-canada.

Notre histoire. Alliance de la fonction publique du Canada (n.d.), consulté en juin 2022 sur https://syndicatafpc.ca/node/7965.

UPI (23 décembre 1981). « RCMP interrogation of Canada’s first ambassador to Moscow, John Watkins, was kept secret to prevent scandal and to keep counter-espionage operations under wraps » [l’interrogatoire par la GRC du premier ambassadeur de Moscou, John Watkins, a été passé sous silence pour éviter un scandale et tenir secrètes les opérations de contre-espionnage], UPI, consulté en juin 2022 sur https://www.upi.com/Archives/1981/12/23/RCMP-interrogation-of-Canadas-first-ambassador-to-Moscow-John/1926377931600/.

Lectures complémentaires :

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