Le syndicat c’est NOUS

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La campagne Pour un monde plus juste du Congrès du travail du Canada a sans doute favorisé la création d’une conversation nationale au sujet des contributions des syndicats. Alors que l’existence même du mouvement ouvrier est mise en péril par des législateurs conservateurs, qui montent lesles travailleurs et travailleuses uns contre les autres, le Congrès du travail avance un argument simple : lorsque les travailleurs et travailleuses prospère, nous en profitons tous.

C’est un message auquel souscrit la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec, plus importante fédération de travailleurs au Québec (FTQ). Ses dirigeants souhaitaient sincèrement adresser le même message aux Québécois, mais aussi aller plus loin.

« Notre campagne, elle vise d’abord et avant tout nos membres », a expliqué Johanne Deschamps, conseillère politique à la FTQ. « Ce qu’on a demandé aux syndicats, c’est de former leurs membres – c’est‑à‑dire de former des animateurs dans les milieux de travail – de façon à aller parler avec les membres. C’est vraiment la partie où nous engageons des conversations avec nos membres sur les divers enjeux. »

D’un côté, la FTQ veut que les membres du syndicat entretiennent des relations plus étroites avec leur syndicat. Elle veut aussi qu’ils aient un plus grand sentiment d’appartenance à leur syndicat et qu’ils portent un regard critique sur certaines des politiques conservatrices proposées par le gouvernement fédéral.

« Souvent, ils nous disent : “le syndicat c’est VOUS”, alors que nous voulons leur dire : “non, le syndicat, c’est NOUS tous ensemble”. »

L’organisation reconnaît que le sentiment antisyndical n’est pas l’apanage des factions conservatrices de notre société; en effet, des idées antisyndicales erronées sont fermement ancrées dans l’esprit de nos propres membres. Grâce à une série de courts clips sur YouTube mettant en vedette de jeunes membres du syndicat, la FTQ tente de détruire la machine à mythes.

« Pas besoin de syndicat! Je peux me débrouiller seul avec le patron » est un des mythes qui perdurent.

« Qu’arrive-t-il si la situation ne se règle pas d’elle-même après avoir parlé au patron? Qu’est-ce que tu peux faire? Est-ce que tu as des recours? Avec le syndicat, au moins t’es sûr qu’il y a d’autres étapes », répond Lydia Bouzgaren, membre de l’AFPC, dans sa vidéo.

Mme Deschamps affirme que les responsables de la FTQ se sont inspirés de syndicats belges, qui ont lancé une campagne semblable qui ciblait les membres du syndicat et la population en général.

« Ils avaient un petit livret qui s’intitulait Les idées toxiques, autrement dit, tout ce qui pose problème et comment on règle ce genre de problèmes. »

Or, ces temps-ci, les idées toxiques abondent. Les syndicats font face aux attaques répétées de tous les ordres de gouvernement.

« Le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux semblent tous adopter cette attitude, actuellement – que ce soit des conservateurs ou des libéraux –, ils sont en train de dire au monde entier qu’il y a un problème, que la dette est énorme, qu’on n’a plus d’argent et qu’il faut donc couper. »

« Mais ça, c’est un argument fallacieux parce qu’ultimement, ils sont en train de démanteler l’État. »

« Le Québec ‒ le gouvernement ‒ ne va plus du tout ressembler à ce qu’il était tantôt. Le modèle sur lequel on a travaillé pendant des années s’effondre. »

Mme Deschamps donne en exemple le fameux système de garderies du Québec où les parents paient 7 $ par jour. Il y a même une campagne menée par des syndicats qui fait valoir les avantages de l’adoption de ce modèle à l’échelon fédéral. Mais, maintenant, même cette norme est menacé au Québec.

« Ce que ça montre, c’est que les acquis, même dans une province, peuvent être menacés à tout moment. Il n’y a plus rien qui est vraiment sûr. »

La conseillère politique reconnaît que le suivi de toutes ces compressions et de leurs conséquences est un défi de taille – même pour ceux d’entre nous dont le travail suppose de suivre ces choses tous les jours.

« C’est dur pour nous, alors imaginez à quel point il est difficile pour le public d’avoir l’heure juste au sujet de ces affaires et d’être indigné. Un jour, ils vont avoir un choc parce qu’ils vont se rendre compte que la facture vient d’augmenter – et ils n’auront pas nécessairement vu venir cette augmentation. »

« Moi, je regarde le titre de notre campagne – Pour un monde plus juste –, et il prend toute sa valeur actuellement », conclut Mme Deschamps, dont la voix s’adoucit et s’assombrit. « Il prend vraiment toute sa valeur parce que je ne sais pas comment on va avoir un monde plus juste avec les décisions que ces gouvernements sont en train de prendre. »

Nous voudrions remercier Johanne Deschamps de fond du cœur d’avoir pris le temps de nous parler au sujet de la campagne de la FTQ de même que des actions et des idées conservatrices qui empoisonnent notre société. Si vous voulez en savoir plus sur la campagne, nous vous recommandons fortement de visiter le site du syndicat.

Fête du Travail ou congé de détente?

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Pendant leurs beaux jours, les défilés de la fête du Travail étaient un spectacle impressionnant. Les gens se rassemblaient le long des rues pour voir les chars allégoriques qui tenaient lieu de monuments dédiés à la contribution de chaque travailleur à la société. C’était un jour où plombiers et pompiers marchaient côte à côte pour symboliser l’unité qui régnait au sein de la classe ouvrière.

Toutefois, les défilés de la fête du Travail ont toujours dû faire concurrence à l’un des principaux buts de la fête : obtenir du temps libre pour s’adonner à des loisirs. De fait, pour de nombreux Canadiens, la fête du Travail évoque davantage une longue fin de semaine de détente au chalet que les tribulations du mouvement ouvrier.

« La tension a été créée au tout début », a expliqué M. Craig Heron, qui enseigne l’histoire à l’Université York. « Il s’agissait d’une célébration du travail qui, implicitement, avait une teinte politique ainsi que d’une journée de plaisir.

« Il est manifestement problématique d’essayer de continuer à concilier ces aspects. »

Selon M. Heron, la fête du Travail se portait bien avant que le Parlement n’en fasse une fête officielle. Selon The Workers’ Festival, livre qu’il a corédigé avec Steve Penfold, les défilés de la fête du Travail remontent au début des années 1880, soit bien des années avant que la journée ne soit officiellement reconnue à l’échelon fédéral (en 1894).

Elle a d’abord été célébrée à Toronto, en 1882, à Hamilton et Oshawa, en 1883, à London et Montréal, en 1886, à St.Catherines’, en 1887, à Halifax, en 1888 et à Ottawa et Vancouver, en 1887. [traduction]

À cette époque, les travailleurs demandaient seulement à leur municipalité locale de déclarer la journée fête civique.

« Ensuite, ils ne faisaient que la célébrer. Les travailleurs prenaient congé pour la journée, a expliqué M. Heron.  En 1894, [le Parlement est] seulement intervenu pour enchâsser dans la loi un fait accompli. »

Ce précieux congé était d’autant plus important à la fin du 19e siècle que les travailleurs n’avaient pas de vacances et que le samedi faisait partie de la semaine de travail.

« Les jours fériés – la fête de Victoria, la fête du Canada et un jour férié au mois d’août, dans certaines parties du pays – étaient les seules vacances. »

En fin de compte, M. Heron considère que le mouvement en faveur des vacances payées était une extension de la demande initiale concernant le congé automnal.

Comme il y avait si peu de congés, le défilé de la fête du Travail a fait face à un concurrent de taille dès le départ. Il n’a pas fallu longtemps aux dirigeants syndicaux pour déplorer le fait que de nombreux travailleurs choisissaient plutôt de passer cette journée de loisirs à la taverne ou à la salle de billard du quartier. Bientôt, le mouvement ouvrier était en concurrence avec un éventail d’autres choix de plaisirs vacanciers, où les forces du marché cherchaient à combler un vide.

Néanmoins, le défilé attirait toujours une foule impressionnante. Les spectateurs pouvaient entrevoir le travail d’un artisan et ses outils de travail. Pour les travailleurs, c’était une occasion de se présenter comme les rouages essentiels d’une société de producteurs. Pour les syndicalistes, c’était une démonstration de force du mouvement ouvrier, démonstration qui, l’espéraient-ils, attirerait davantage de travailleurs dans leurs rangs.

Mais cette situation devait changer au fil des ans.

« La fête du Travail a évolué, a expliqué M. Heron.  Ce que Steve et moi voulions souligner dans le livre, c’était comment elle a été réinventée un certain nombre de fois. »

Les défilés des années 1940 se caractérisaient par ce que M. Heron appelait « une tension plus vive », c’est-à-dire des manifestations enflammées s’apparentant davantage à celles de la Journée internationale des travailleurs. Après la Seconde Guerre mondiale, on a tenté d’intégrer l’activisme aux anciennes traditions.

« On montait un spectacle qui puisait dans les éléments culturels que les gens s’attendaient à voir dans un défilé; on ajoutait les clowns et les jolies filles en jupe courte, a expliqué M. Heron. Ces éléments, qui, aujourd’hui, nous semblent frivoles, coexistaient avec des chars allégoriques soulignant des enjeux cruciaux : “Que nous réserve l’automatisation?” “Nous avons besoin d’une assurance-maladie!” »

Graduellement, à mesure que le mouvement ouvrier entrait dans une période plus tumultueuse, dans les années 1970, les éléments frivoles ont été abandonnés en faveur d’activités qui étaient davantage axées sur la protestation.

Malgré ces fluctuations, une chose est demeurée constante : les défilés de la fête du Travail étaient une initiative populaire habituellement dirigée par un conseil du travail local.

À Ottawa, le défilé de la fête du Travail est organisé par le Conseil du travail d’Ottawa et du district. À quelques jours seulement du grand jour, la voix de Sean McKenny, président du Conseil du travail, résonne déjà avec fierté et enthousiasme.

« Tout est gratuit », de dire M. McKenny, en pressant tout le monde d’assister aux festivités. « Nous offrons des hot-dogs, du maïs en épi, des sacs de chips, des boissons gazeuses et du jus pour tout le monde – pour les enfants, nous avons un château gonflable et organisons des tours de poney. »

Depuis plus d’un siècle un défilé de la fête du Travail a lieu à Ottawa. Et depuis quelques années, les festivités se déroulent selon une formule standard : tout le monde se rassemble à l’hôtel de ville et marche vers un parc à proximité, où le plaisir se poursuit.

M. McKenny soutient que l’événement met davantage l’accent sur la famille et les loisirs que sur l’activisme et la protestation.

« L’une des choses que nous disons souvent, par ici, c’est : “Nous avons un peu plus de 360 autres jours dans l’année pour manifester et nous rassembler; alors aujourd’hui, nous allons nous amuser et célébrer tout le dur labeur que nous effectuons tout au long de l’année.”

M. McKenny fait valoir que, à Ottawa, le défilé est loin de rendre son dernier souffle. Après avoir participé à sa planification pendant plus de 20 ans, il affirme qu’il ne fait aucun doute que le taux de participation a augmenté. De plus, il espère que les attractions axées sur la famille constitueront le prolongement de la campagne du Congrès du travail du Canada, qui vise à brosser un tableau différent des syndicats – un tableau qui contredit les perceptions du public selon lesquelles les membres des syndicats sont radicaux et constamment en grève.

Dans la même veine, les festivités de la fête du Travail continuent d’être un moyen de communication important. Dans leur livre, MM. Heron et Penfold déclarent que les défilés « visaient à transmettre des messages puissants, symboliques et principalement non littéraires au sujet des valeurs sociales et politiques appropriées et des relations sociales acceptables. »

« Dans les années 1880 à 1890, il y avait tout le temps des défilés dans les rues, s’est exclamé M. Heron.  C’était un véritable mode de communication. On s’attendait à voir des défilés; on allait les regarder. Ce qu’on y présentait, l’aspect des gens, la façon dont ils étaient habillés et dont ils s’organisaient, ce qu’ils portaient et ce qu’ils montraient – tout cela était un mode de communication avec la foule qui regardait. »

Toutefois, à l’ère numérique, où les messages peuvent atteindre un public plus vaste, quelle que soit leur proximité avec un centre urbain, les défilés ont-ils encore leur place? Les ressources pourraient-elles être plus sagement investies ailleurs?

M. Heron soutient qu’il y a encore quelque chose de très puissant et viscéral à voir des gens se rassembler pour une manifestation publique.

« Je pense que cela s’inscrit dans le débat auquel tout le monde participe au sujet des médias sociaux, a‑t-il répondu. C’est un débat que nous tenons dans le milieu universitaire au sujet des cours en ligne : quel est l’avantage de rassembler les gens en personne, pour quelque raison que ce soit? »

Au lieu de remplacer l’acte qui consiste à descendre dans la rue, les médias sociaux peuvent servir à favoriser cet acte. Selon M. Heron, Occupy et Idle No More étaient d’excellents exemples de mouvements qui utilisaient ces outils efficacement afin de mobiliser un plus grand nombre de manifestants.

« Des gens qui se tiennent debout ensemble, qui marchent ensemble et qui se retrouvent quelque part en personne dégagent une puissance incroyable. On ne peut ressentir cela d’aucune autre manière.

« Grâce à ces événements, les gens ressentent de la fierté et ont l’impression d’avoir du pouvoir et d’être capables de grandes choses. C’est pourquoi, selon moi, dans les situations de grève et dans le cadre de manifestations, les gens y ont recours encore et encore comme moyen de montrer au monde qu’il y a des gens qui se préoccupent de leur cause et de ressentir une certaine solidarité. »

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Si le présent article vous a inspiré et incité à participer à votre défilé local de la fête du Travail, veuillez communiquer avec le conseil du travail local de votre district. À Ottawa, on espère recruter encore dix à vingt bénévoles.

L article s’appuie fortement sur les renseignements figurant dans le livre de Craig Heron et Steve Penfold intitulé The Workers’ Festival: A History of Labour Day in Canada. M. Heron est l’auteur de plusieurs livres sur le mouvement ouvrier canadien, notamment The Canadian Labour Movement: A Short History. Quelques membres du SEN figurent d’ailleurs sur la couverture de ce livre!

Nous remercions Craig Heron et le président du Conseil du Travail d’Ottawa et du district, Sean McKenny, d’avoir pris le temps de parler avec nous.

Exclusif: Notre entrevue avec Hassan Yussuff

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Voici un extrait de l’entrevue exclusive que M. Yussuff a accordée aux envoyés spéciaux du Syndicat des employées et employés nationaux à la suite de son discours au congrés du SEN.

Syndicat des employées et employés nationaux — Parler de ce que vous voulez voir disparaître est une chose, mais décrire ce que vous voudriez mettre à la place en est une autre. Pouvez-vous nous indiquer à quoi ressemblerait notre pays après qu’il aurait été rebâti comme vous le souhaiteriez?

Hassan Yussuff — Il s’agirait d’un pays plus juste. La contribution des travailleurs serait appréciée à sa juste valeur. Le gouvernement accorderait la priorité à toutes ces choses qui revêtent de l’importance pour les travailleurs : de bons emplois; un meilleur système de soins de santé; de meilleurs régimes de retraite permettant à ceux qui ont travaillé toute leur vie de se retirer dignement de la population active; et un avenir où les jeunes pourront toucher de bons salaires leur permettant de quitter le domicile familial et d’acquérir leur propre logement. Il est fondamental que les gens croient que la société a une finalité et qu’elle va dans la bonne direction. Cette conviction est en train de disparaître. On nous dit que nous n’avons pas les moyens de nous payer un bon système de santé. On nous dit qu’il est impossible d’avoir de bons emplois au sein d’une économie mondialisée. On nous dit que nos régimes de retraite sont beaucoup trop généreux. Il s’agit là de choses fondamentales, et nous devons affirmer que nous avons le droit d’en bénéficier. Notre société est plus riche qu’elle ne l’a jamais été dans le passé. Nous sommes plus riches qu’à l’époque où nos régimes de retraite ont été mis en place. On nous dit que les jeunes ne doivent pas s’attendre à obtenir un emploi à temps plein ou un régime de retraite, mais les riches, pour leur part, semblent s’en être très bien tirés. J’espère que le pays dans lequel grandira ma fille sera meilleur que celui où je suis arrivé. Ma fille ne devrait pas avoir à se battre pour qu’on respecte les droits des femmes ou pour avoir accès à des services de garde — il devrait s’agir là de droits fondamentaux; il devrait s’agir là non pas d’un rêve, mais d’une réalité. Nous avons les moyens d’y arriver. Nous pouvons le faire. Il faudrait simplement qu’un gouvernement ou un chef en fasse sa priorité. Si le gouvernement est en mesure d’accorder aux sociétés des réductions d’impôts d’une valeur de plusieurs milliards de dollars, il peut assurément faire cela.

SEN — Dans le cadre de votre discours, vous avez mis l’accent sur les avantages sociaux que le mouvement syndical a été en mesure d’acquérir pour le bénéfice du Canada et de tous les Canadiens. Il s’agit là du message qui touchera les gens, n’est-ce pas?

HY — À mes yeux, le rôle des syndicats a été de renforcer les droits non seulement de leurs membres, mais également de l’ensemble de la population. Si nous perdons cela de vue, nous perdrons l’appui du public. Nous devons rappeler à la population tout ce que nous faisons de bien. Nos opposants nous ont piégés. Nous allons devoir trouver une façon de faire savoir aux gens que, sans les syndicats, il ne sera pas possible d’améliorer les lois et de changer les choses. Nous nous battons non seulement pour nos membres, mais également pour l’ensemble de la société.

SEN — Vous avez parlé de la mobilisation et de l’organisation en vue des prochaines élections fédérales. Avez-vous des suggestions précises à formuler à l’intention des membres?

HY — Nous allons organiser un peu partout au pays des conférences d’action politique afin de discuter de l’adoption d’une stratégie commune qui nous permettra de faire connaître les mesures que le gouvernement a prises contre les travailleurs. Nous voulons que nos membres soient conscients du fait qu’ils ne sont pas seuls. Nous voulons qu’ils sachent que les syndicats affiliés peuvent unir leurs efforts. Nous devons montrer aux gens ce qu’ils peuvent faire pour tenir en milieu de travail des discussions à ces sujets et les aider à cerner un certain nombre de sujets et de questions qui se trouveront au centre des prochaines élections.

SEN — On a relevé une tendance consistant à semer la division au sein de l’effectif en faisant en sorte que les nouveaux employés ne soient pas admissibles, au titre des conventions collectives, aux avantages sociaux et aux pensions dont bénéficient les employés possédant de l’ancienneté. Chaque groupe de travailleurs possède des droits qui lui sont propres. À votre avis, s’agit-il là d’une stratégie qu’utilise le gouvernement?

HY — Oui, c’est un fait notoire. Nous avons énormément de difficultés à amener les jeunes employés à être solidaires des autres. Cette stratégie représente un moyen très systématique de miner la crédibilité du syndicat. Les membres sont rarement conscients du fait que l’employeur a créé ce système à deux vitesses; ils ne saisissent pas le contexte, et ils jettent le blâme sur le syndicat. Un nombre colossal d’employés actuels prendront leur retraite au cours d’une brève période. [Le gouvernement] entend modifier fondamentalement la nature de ses relations avec les travailleurs, et il n’a pas beaucoup de temps pour le faire. Cette charge contre les droits a pour but de faire savoir à la nouvelle génération de travailleurs qu’ils ne doivent pas s’attendre à pouvoir profiter d’avantages sociaux et de régimes de retraite. De toute évidence, nous devons faire quelque chose, car pour l’essentiel, il en va de l’avenir de nos jeunes.

SEN — Vous avez évoqué l’exode qui est sur le point de se produire. Bon nombre de travailleurs aguerris qui sont membres de notre syndicat prendront bientôt leur retraite. Le CTC est-il préoccupé par le fait que quelques-uns des ténors du mouvement syndical sont sur le point d’accrocher leurs patins?

HY — Cela pose actuellement des difficultés au Congrès. Il s’agit d’une préoccupation, mais je demeure confiant, car je sais qu’une foule de jeunes gens brillants prendront la relève. Cela ne portera pas atteinte au mouvement syndical; il en ressortira quelque peu affaibli puisque l’expérience a une valeur inestimable lorsqu’on est aux prises avec de grandes difficultés. Dans bien des cas, nous pouvons compter sur des gens qui ont vu neiger. Cela dit, un changement de garde est une chose stimulante — cela peut aboutir à un renouvellement et se traduire par de nouvelles façons de faire les choses.

SEN — Sur son compte Twitter, un de nos membres a dit à la blague que vous aviez le don d’ubiquité. Il semble effectivement que vous faites de nombreux discours et que vous vous déplacez énormément depuis votre élection, qui ne date que de trois mois.

HY — Ce qui me stimule sans cesse, ce sont les possibilités que l’avenir nous réserve. J’ai la chance inestimable de pouvoir diffuser un message, et on a l’impression que des changements sont en train de se produire au sein du Congrès. Des élections auront lieu sous peu, et j’estime que nous devons contester le programme du gouvernement — nous devons l’attaquer et nous devons en parler. Nous luttons contre un gouvernement qui est en train de tout détruire. En ce moment, ma tâche consiste à inspirer les gens, car ils croient que le combat est perdu d’avance. Je dois contribuer à combattre ce défaitisme. Nous devons faire en sorte qu’ils croient qu’ils peuvent changer le cours des choses. Il y a énormément de pain sur la planche, mais je présume que j’aurai amplement le temps de me reposer une fois que nous nous serons débarrassés du gouvernement Harper.

UNE – Merci, monsieur Yussuff.

Vous pouvez en découvrir davantage au sujet du discours que M. Yussuff a livré au congrès en consultant notre bulletin du 13 août.

 

Un peuple tribal subi une attaque

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À l’occasion de la Journée mondiale des peuples autochtones, Survival International attire l’attention sur certaines des tribus qui ont été victimes de génocide. Cette organisation internationale, qui se consacre à la défense des peuples autochtones du monde entier, craint que l’histoire ne se répète si des mesures urgentes ne sont pas prises pour protéger une tribu vivant à la frontière péruano-brésilienne.

Le mois dernier, Survival International a appris qu’une tribu anciennement isolée (tribu n’ayant eu aucun contact avec les sociétés industrialisées) avait demandé l’aide de la tribu avoisinante Ashaninka au Brésil.

« Les membres de cette tribu isolée ont expliqué qu’ils avaient dû fuir leur village, car leurs aînés avaient été tués par des non autochtones et leurs maisons incendiées, a expliqué Ilana Nevins, porte-parole de Survival International. Tant de gens ont été tués qu’ils n’ont pas pu les enterrer tous et leurs cadavres ont été dévorés par les vautours. »

L’organisation soupçonne que des bûcherons illégaux et des trafiquants de drogue ont commis ces atrocités. Bon nombre d’Autochtones ont déjà été repoussés plus profondément dans la forêt à mesure que des bûcherons et des trafiquants de drogue empiètent sur leur territoire.

Les tribus isolées qui entrent en contact avec les sociétés industrialisées peuvent être victimes non seulement d’actes de violence, mais aussi de maladies. Dans les années 1990, plus de la moitié des Nahuas ont été décimés après être entré en contact avec des bûcherons.

Sept tribus isolées qui ont eu des contacts avec la société extérieure le mois dernier ont montré des signes d’influenza, une maladie pour laquelle elles n’ont pas développé d’immunité. FUNAI, l’organisme gouvernemental brésilien, chargé de protéger les territoires tribaux et les autochtones, a traité cinq jeunes hommes et deux jeunes femmes pour cette maladie.

Comptant 70 tribus isolées et un territoire autochtone de 14 millions d’hectares (environ deux fois et demie la dimension de la Nouvelle Écosse), FUNAI, qui est aux prises avec une énorme tâche, n’a pas assez d’argent pour la réaliser. Mme Nevins estime néanmoins que les choses s’améliorent.

« Chez FUNAI, des employés ont à cœur que ces tribus et leur territoire soient protégés, précise-t-elle. Mais ce n’est pas suffisant. On manque de financement pour assurer que les territoires isolés sont surveillés et que les bûcherons , les mineurs et autres exploitants des ressources sont interdits d’accès. »

Survival International souhaiterait que le gouvernement brésilien consacre davantage d’argent aux activités de FUNAI. À l’heure actuelle, l’organisation demande au gouvernement de réaffecter du personnel dans un avant-poste gouvernemental, qui a été attaqué par des bûcherons illégaux et des trafiquants de drogue en 2011.

Ces employés surveillaient et protégeaient le territoire du tribu isolée qui, vraisemblablement, y vivait.

Survival International enjoint le public de transmettre un message électronique aux gouvernements brésilien et péruvien leur demandant de surveiller et de protéger ces tribus isolées et leur territoire.

En mars dernier, les gouvernements péruvien et brésilien ont signé une entente de coopération visant la surveillance et la protection transfrontalières.

« Jusqu’à présent, ce n’est pas suffisant pour protéger ces peuples », conclut Mme Nevins.

Les membres peuvent en apprendre davantage à propos de Survival International à www.survivalfrance.org. Vous pouvez aussi lire d’autres articles sur les peuples tribaux, y compris : Revoyez votre vocabulaire et À la défense des peuples autochtones au sujet de l’empiétement sur le territoire des Matsés situé au Pérou, causé par l’exploration pétrolière.

18 mai – Journée internationale des musées.

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Le 18 mai est la Journée internationale des musées. Vous pourriez donc planifier une visite à un musée près de chez vous cette fin de semaine! Notre pays regroupe des musées prodigieux, et pour un grand nombre de nos membres, ces musées sont également leur lieu de travail!

Toutefois, nos musées ne sont pas à l’abri des compressions budgétaires effectuées au nom des mesures d’austérité. Les membres qui travaillent dans ce secteur doivent relever des défis uniques.

« La plupart des personnes travaillant dans les musées, les galeries et les archives préféreraient de loin être subordonnées à des organismes de financement libres de tout lien de dépendance », déclare Terry Quinlan, professeur au département de conservation du Collège Algonquin, à Ottawa. Le Collège offre le plus ancien programme de formation muséologique au Canada, qui remonte à 40 ans.

Nos musées nationaux ont pour tâche, ô combien importante, de recueillir, de documenter, d’interpréter et de préserver les objets d’une importance culturelle – des objets qui nous appartiennent tous, collectivement. Pendant ce temps, le gouvernement fédéral a l’obligation légale, en vertu de la Loi sur les musées, de fournir à ces institutions les moyens d’accomplir leur travail.

« C’est là une exigence essentielle et fondamentale des institutions publiques : le gouvernement fédéral doit leur allouer les fonds pour la réalisation de leur mandat. »

De plus en plus, toutefois, les musées côtoient des sociétés afin de s’acquitter de leurs obligations fiduciaires. M. Quinlan souligne la commandite de un million de dollars de Barrick Gold pour le Musée canadien de la nature qui illustre cette tendance de façon troublante. Il estime que l’influence grandissante des sociétés est « menaçante ».

Or, en dépit de la nouvelle source de financement, l’ampleur des réductions de coûts dans les musées et les lieux historiques nationaux demeure inquiétante.

« Partout au pays, nous avons observé des réductions draconiennes, explique M. Quinlan. À Parcs Canada, entre autres, nombreux sont ceux qui ignorent que l’organisme avait des centres de service d’un bout à l’autre du pays qui s’occupaient de nos artefacts culturels collectifs provenant de l’ensemble de nos lieux historiques nationaux. »

Le gouvernement les a fermés; une seule installation existe encore à Ottawa. Selon Terry Quinlan, même les activités de cette installation ont été revues à la baisse. Alors qu’elle disposait de 20 conservateurs, il n’en resterait plus que sept!

Tandis que, du côté de la préservation, on accuse le coup, il en va de même de la capacité de ces institutions de mobiliser et d’éduquer les visiteurs. Malheureusement, 26 lieux historiques ont perdu les interprètes du patrimoine qui donnaient vie à l’histoire, qui rendaient l’apprentissage plus attrayant. Sur la liste de 2012 des lieux historiques nationaux de Parcs Canada qui passent au mode auto-interprétation, la maison Laurier vient en douzième place.

« Nous sommes partenaires de la maison Laurier depuis 15 ans, précise le professeur du département de conservation. J’ai vu les employés se faire anéantir avec un certain acharnement au cours des six dernières années. C’est un lieu exceptionnel, riche d’interprétation, avec une multitude de connaissances à transmettre au public, et on a complètement réduit ses ressources! »

Le professeur Quinlan mentionne qu’on incite les visiteurs à explorer le lieu à l’aide d’une application.

« C’est tout à fait étrange, ajoute-t-il. Je pense que certains ministères et organismes fédéraux adoptent promptement la technologie et, parce que c’est une façon moins chère de faire les choses, donnent à penser que c’est une meilleure façon de faire. »

« Je ne suis pas d’accord. Attendez de voir dans cinq ans. »

D’ailleurs, si vous ne pouvez pas faire participer les gens au moyen d’Internet, vous devez les attirer. Terry Quinlan affirme que de nombreux musées ont recours à des initiatives novatrices pour rejoindre les gens en dehors de leur public type.

« Un des plus grands défis – et beaucoup d’institutions s’évertuent maintenant à le faire – consiste à intéresser la population appartenant à la tranche d’âge intermédiaire, indique-t-il. Les 20 à 35 ans – on s’efforce de les inciter à découvrir leur passé culturel collectif. Pour ce faire, les institutions se tournent vers la technologie moderne; elles essaient des approches innovatrices. »

À son avis, la série Nature Nocturne du Musée canadien de la nature est un excellent exemple des efforts déployés pour atteindre les membres de ce groupe d’âge. Le Musée n’hésite pas à décrire ses activités de fin de soirée comme une chance pour les adultes de s’amuser et de profiter du musée, à leur convenance. Il est possible de visiter toutes les galeries et, en plus, il y a de la musique, de la nourriture, des boissons… et une piste de danse!

« Le Musée royal de l’Ontario offre une expérience similaire, ajoute M. Quinlan. Qui peut prévoir le succès de telles tentatives? Et ce n’est qu’un début… »

« C’est formidable! Je pense que, si vous essayez de rester une institution du passé, vous ne survivrez pas. C’est tout simplement impossible. »

Revoyez votre vocabulaire!

Vu que les activités des Jeux autochtones au Brésil sont en plein essor, nous avons pensé que ceci serait l’occasion toute parfaite pour discuter de notre vocabulaire.

Nous avons saisi l’occasion pour parler à Survival International, organisme qui défend les droits des peuples indigènes.

Survival a récemment lancé une campagne, intitulée Racisme dans les médias, qui vise à attirer l’attention sur l’usage abusif de certains mots qui, depuis des siècles, déprécient les peuples indigènes et les dépeignent comme étant dans un état de transition inévitable vers les sociétés industrialisées.

Ces idées sont inhérentes à l’utilisation de termes comme « primitif » et « âge de pierre ».

« “Primitif” est un des mots utilisés dans les médias », dit Kayla Wieche, une porte-parole de Survival International.

« C’est un exemple de racisme à l’endroit des peuples indigènes de dire que, d’une certaine manière, les sociétés industrialisées sont plus avancées que les peuples indigènes – voilà le message que véhicule vraiment le mot “primitif”. »

Et, bien sûr, il n’y a qu’un pas entre décrire un peuple comme étant « primitif » ou comme « vivant encore à l’âge de pierre » et le fait de décider que les sociétés industrialisées savent ce dont ce peuple a besoin.

Wieche dit que le mot a récemment été utilisé abondamment dans une critique de livre parue dans le Wall Street Journal.

« J’ai été très choquée de voir un tel racisme dans un grand journal américain. »

Survival International demande instamment à ses alliés d’envoyer des cartes électroniques à ceux qui doivent sérieusement revoir le langage qu’ils utilisent.

L’organisme vient de lancer une autre campagne semblable destinée à l’Inde, où de tels mots sont employés librement sans réfléchir. La campagne aura pour titre « Proud, not primitive » (fier, et non primitif).

Quels autres mots devrions-nous retirer de notre vocabulaire? Laissez un commentaire plus bas!

 

À la défense des peuples indigènes

La Journée internationale des populations autochtones du monde sera célébrée le 9 août. Cette journée fera l’objet d’un autre article, mais d’ici là, et étant donné l’urgence de la situation, nous vous prions d’agir pour protéger les Matsés et les groupes autochtones isolés du Pérou en appuyant le travail de l’organisme Survival International.

Dans le passé, nous avons présenté sur notre site Web le travail important qu’accomplit Survival International. Au Canada, cet organisme a défendu la Nation Innu, qui subit encore les répercussions d’attitudes colonialistes.

Par contre, il ne faut pas oublier que Survival International est un organisme mondial et qu’il a pour mandat de défendre de tous les peuples indigènes.

« Nous souhaitons vraiment que les gens comprennent et respectent le fait que les peuples indigènes doivent avoir la liberté de prendre leurs propres décisions en ce qui concerne leurs terres et leur mode de vie », explique Kayla Wieche, porte-parole de Survival International. « Nous les aidons à protéger leur vie, leurs terres et leurs droits fondamentaux. »

Partout dans le monde, les sociétés indigènes sont menacées de diverses façons : vol de terres, violence, racisme, extraction des ressources – sans parler de l’inévitable contamination des terres qui découle de cette extraction.

C’est pourquoi Survival International soutient que les entreprises doivent s’abstenir d’exercer leurs activités sur les terres des peuples indigènes si elles n’ont pas obtenu préalablement le consentement libre et éclairé de ces personnes.

« Chaque groupe autochtone doit accepter les activités entreprises et être parfaitement bien informé, affirme Mme Wieche. Et s’il ne veut pas qu’une entreprise travaille sur ses terres ou que des bûcherons abattent ses forêts, il a le droit de refuser. »

Les empiètements dont se rendent responsables les entreprises d’exploitation forestière et d’exploration pétrolière nuisent grandement aux peuples indigènes, surtout ceux qui sont isolés.

En 2008, Survival International s’est fait connaître en publiant d’incroyables images de peuples isolés – des peuples qui n’avaient jamais été en contact avec la société industrialisée.

« Les gens n’arrivaient pas à y croire… Ils n’en revenaient pas qu’il y ait encore des peuples isolés un peu partout dans le monde. »

Mais ce n’est pas parce qu’ils vivent en marge de la société que nous connaissons qu’ils ne savent pas qu’elle existe, prévient Mme Wieche.

« La plupart du temps, surtout dans la région amazonienne, les peuples ont réellement été maltraités par la société industrialisée. Et ils ne veulent pas faire partie de cette société. »

« C’est un choix délibéré. »

D’après Survival International, 90 % des Indiens de l’ouest de l’Amazonie ont été anéantis au XIXe siècle pendant la « fièvre du caoutchouc ». Même aujourd’hui, le contact avec le monde industrialisé entraînerait la ruine de ces peuples indigènes.

« Leur système immunitaire ne les protège pas du rhume ou de la grippe, c’est pourquoi la moitié d’entre eux – et c’est déjà arrivé – risquent de mourir s’ils entrent en contact avec le monde industrialisé. »

Une des menaces auxquelles ces communautés font face vient du Canada : une société canado-colombienne appelée Pacific Rubiales Energy Corporation. Elle est inscrite à la Bourse de Toronto sous le symbole PRE.

« Elle est à la recherche de pétrole sur des terres situées à un endroit où il a été proposé d’établir une réserve pour un groupe autochtone isolé », explique Mme Wieche.

Les Matsés, qui vivent tout près, croient être apparentés à ce groupe isolé et pensent qu’il vit sur les terres où Pacific Rubiales mène ses activités d’exploration.

Survival International demande à cette société du secteur de l’énergie de mettre fin à l’exploration pétrolière sur cette terre. La société compte également poursuivre l’exploration sur les terres des Matsés.

« Elle procède déjà à une prospection sismique. Des hélicoptères survolent la région, et cela perturbe le mode de vie du peuple et fait aussi fuir les animaux, ajoute Mme Wieche. C’est vraiment insupportable. »

Les Matsés se sont adressés aux actionnaires de Pacific Rubiales pour leur demander de retirer leurs investissements si la société poursuit ses activités d’exploration sur le territoire.

« Nous demandons au public d’écrire à Pacific Rubiales », conclut Mme Wieche, ajoutant qu’il faut enjoindre au gouvernement péruvien d’annuler son contrat avec le géant de l’énergie.

Pour en savoir davantage sur le sujet – et agir –, rendez-vous sur le site Web de Survival International.

Meutre à Buckingham

Si vous ne connaissez pas trop la banlieue de la région de la capitale nationale, vous n’avez probablement jamais entendu parler de Buckingham. C’est une petite collectivité d’environ 10 000 personnes, bien que, techniquement, depuis la méga fusion de Gatineau, elle fait maintenant partie de la ville.

Cependant, au début des années 1900, la ville de Buckingham était tout autre chose.

« Disons qu’elle était très semblable à d’autres endroits au Québec, en Ontario et ailleurs; il n’y avait pratiquement qu’une seule industrie », explique Pierre-Louis Lapointe, historien et auteur de plusieurs livres sur Buckingham.

Les habitants de la ville n’avaient pas beaucoup de choix, puisqu’il n’y avait que deux grands employeurs sur place : la Electric Reduction Company et la compagnie MacLaren.

Les MacLaren étaient des exemples parfaits de requins de l’industrie; ils ont amassé leur fortune en exploitant les ressources naturelles, en entretenant des liens étroits avec le gouvernement et en sous‑payant leurs employés.

En 1906, après avoir acheté leur seul grand concurrent dans la ville, les MacLaren étaient propriétaires de deux scieries et d’une usine de pâte à papier. À ce moment-là, ils avaient acheté le plus de terrains possible autour de la rivière — tout ça pour empêcher d’autres entreprises d’empiéter sur leur territoire.

Par mesure de sécurité, les MacLaren ont aussi acquis des droits exclusifs pour fournir de l’électricité et construire des chemins de fer dans la ville.

« Ils ont ainsi pu empêcher la construction de chemins de fer qui auraient  traversé la municipalité », poursuit M. Lapointe.

Sans chemin de fer pour transporter le bois d’œuvre ailleurs, les agriculteurs et les propriétaires de terres dans le secteur n’avaient d’autre choix que de vendre leur bois à la compagnie MacLaren.

« C’est un des outils qu’ils ont utilisé pour établir leur monopole. »

Pour les hommes qui travaillaient pour la compagnie MacLaren, les temps étaient durs.

« Croyez-vous que c’est humain de donner $1,25 par jour à des hommes qui travaillent de 7 heures du matin à 6 heure le soir, dans l’eau, la boue, sur les billots? » un ouvrier est cité comme ayant dit, en 1906. « Le travail est brutal et pénible. Ainsi, moi, j’ai 6 enfants; allez donc faire manger ça, instruire ça, habiller ça et faire la même chose, vous-même, avec un piastre et quart par jour. 1»

En 1906, le coût de la vie augmentait rapidement.

« À ce moment-là, les ouvriers n’en peuvent plus », explique M. Lapointe.

Quand les employés ont essayé de se syndiquer, les MacLaren ont rapidement décrété un lockout. L’entreprise a embauché des détectives (des gardes armés), et des briseurs de grève transportaient les billes de bois. Le conflit a atteint son apogée le 8 octobre 1906, lorsque les travailleurs ont voulu convaincre les briseurs de grève de s’en aller.

« Malgré les railleries et les sarcasmes anti-français qui leur sont lancés par les détectives, les hommes de Bélanger sont résolus à garder leur calme. Mais, soudain, retentit un sinistre commandement qui va mettre le feu aux poudres. Shoot them! [Tirez-les!] Ce cri vient du rang des détectives.2 »

« C’était une embuscade », a déclaré M. Lapointe.

Deux hommes ont été tués : Thomas Bélanger et François Thériault – des membres de l’exécutif. À leurs funérailles, ces hommes ont été dépeints comme des martyrs du mouvement syndical.

Les MacLaren ont été par la suite acquittés des meurtres. Selon le livre de M. Lapointe, le procureur était furieux et a déclaré qu’il porterait la décision du juge en appel. Il a presque aussitôt reçu un télégramme du procureur général du Québec lui disant de ne pas interjeter appel.

Les MacLaren avaient des amis haut placés.

Dans les mois et les années qui ont suivi le conflit d’octobre 1906, plus de 60 % des syndicalistes ont quitté le village. Les MacLaren avaient inscrit sur leur liste noire les fauteurs de trouble — et cette liste circulait parmi les autres employeurs du village qui n’ont pas hésité à accéder aux demandes de la famille MacLaren.

« Une des personnes interrogées au sujet de cette liste noire m’a raconté le cas d’un garçon qui, après avoir réussi aux examens et aux entrevues, se fait convoquer au bureau de R.M. Kenny qui sort un cahier du tiroir de son bureau et l’interroge sur ses liens de parenté avec tel ou tel ouvrier mêlé aux troubles de 1906…. Et de conclure sèchement Kenny : Sorry, there’s no job for you here ! [Désolé, il n’y a pas d’emploi pour toi ici!] 3»

« En quelques années, la population de la ville de Buckingham a diminué de 25 % — ce qui est énorme », ajoute M. Lapointe.

En 1934, les travailleurs ont, une fois de plus, essayé de se syndicaliser. Le Pulp and Sulfite Workers’ Union avait réussi à convaincre plus de 60 travailleurs de signer une carte d’adhésion. Malheureusement, l’entreprise a eu vent de ce qui s’organisait grâce à un espion infiltré parmi les travailleurs.

L’entreprise a réagi en congédiant toutes les personnes concernées.

« Donc, ça été une deuxième tentative de syndicalisation qui a été tuée dans l’œuf », résume M. Lapointe.

La seule chose à faire pour combattre l’entreprise MacLaren était d’améliorer le réseau routier pour permettre aux habitants de la ville de vendre du bois d’œuvre à d’autres entreprises.

« Vers la même époque, poursuit M. Lapointe, le gouvernement provincial du Québec s’est penché sur les conditions de travail des bûcherons et des travailleurs dans le domaine forestier. Par la suite, le gouvernement  a mis en place une sorte de salaire minimum, ce qui a forcé la compagnie MacLaren à augmenter le salaire de ses travailleurs. »

Et finalement…

« Ce qui a le plus aidé les ouvriers, c’est en fait – c’est  un petit peu drôle à dire – mais c’est la Deuxième Guerre mondiale », déclare M. Lapointe.

À ce moment-là, pratiquement tout était considéré essentiel pour l’effort de guerre. Les syndicats n’étaient pas autorisés à faire la grève, et les patrons ne pouvaient pas déclarer de lockout.

« Les MacLaren ont été obligé d’accepter la création d’un comité permanent de négociation entre les ouvriers et le patron », mentionne M. Lapointe.

La création de ce comité marque un changement important dans les conditions de travail. Et puis, en 1944, un syndicat est enfin reconnu par les MacLaren.

On connaît peu cette histoire à l’extérieur de Buckingham. En 1990, M. Lapointe a écrit un livre sur l’histoire de la ville de Buckingham dans lequel il relate le conflit de 1906. Le livre a été publié en anglais et en français, mais M. Lapointe affirme que les exemplaires en anglais ont tous disparu.

« Impossible d’en trouver un dans les bibliothèques. J’ai du mal à imaginer… mais les MacLaren ont le bras long », déclare-t-il à la blague. « C’est une histoire qui ne fait pas plaisir à certains éléments capitaliste. »

Selon M. Lapointe, cette histoire illustre bien qu’il y a toujours des liens entre la politique et l’économie — et que cela peut rarement être prouvé aussi clairement que par le conflit de 1906.

« Aujourd’hui, on blâme le syndicalisme et les unions pour tous les maux de l’économie et de la société », écrit M. Lapointe dans l’introduction de son livre en 1984. « Il est important de rappeler le rôle joué par le syndicalisme dans l’amélioration de nos conditions de vie. Il faut relever la tête comme Thomas Bélanger et François Thériault… pour eux, et pour tous ceux qui se sont sacrifiés pour leurs semblables, nous nous devons de régir. Nous leur devons bien ça!4 »


[Note de la rédaction : Nous sommes infiniment reconnaissants à M. Lapointe de nous avoir permis de publier des extraits de son livre et de nous avoir parlé du conflit de 1906. Tous les faits contenus dans le présent article ont été tirés des livres de M. Lapointe et d’une entrevue téléphonique avec lui réalisée le 25 juin 2013.]


[1] Lapointe, Pierre-Louis. (1983). Buckingham : ville occupée. Diffusion Prologue inc. Ville Saint-Laurent, Québec.

[2] Idem

[3] Idem

[4] Idem

Travailleurs accidentés : une douloureuse perception de soi

En plus de supporter leurs douleurs physiques, les travailleurs accidentés doivent souvent modifier leur perception d’eux‑mêmes. Selon Sharon-Dale Stone, professeure agrégée en sociologie à Lakehead University et chercheuse principale pour une étude sur les travailleurs accidentés, il est honteux d’être un travailleur accidenté dans notre société.

Son article, intitulé Workers Without Work: Injured Workers and Well-Being, se penche sur la façon dont le bien-être des travailleurs accidentés est touché par le fait qu’ils ne peuvent travailler. Mme Stone et son équipe de chercheurs ont animé 12 groupes de discussion dans l’ouest de l’Ontario pour obtenir de première main des commentaires auprès de travailleurs accidentés relativement aux répercussions que leurs blessures ont eues sur leur vie.

« Pour moi, personnellement, ce fut gratifiant de pouvoir être capable de documenter ces histoires puisque je savais depuis longtemps que les travailleurs accidentés vivaient des situations horribles », a déclaré Mme Stone, lors d’une entrevue téléphonique. « Et en documentant ces histoires et en les publiant, je serais en mesure de provoquer un faible degré de changement. »

Les travailleurs accidentés suscitent souvent de la méfiance – comme si la seule chose qu’ils souhaitent, c’est de rester à la maison et de recevoir leur salaire. Cependant, l’étude de Mme Stone révèle que la plupart des travailleurs veulent réellement retourner au travail; leurs blessures ont un effet dévastateur et pénible sur leur vie.

« Ne pas pouvoir reprendre mon travail d’infirmière a été la chose la plus difficile que j’ai vécue », a mentionné une des participantes à l’étude de Mme Stone. « C’est ce que j’aimais faire. J’aimais vraiment ça, et j’étudiais pour devenir infirmière autorisée. Je travaillais, j’allais à l’école et aux rencontres syndicales, même le vendredi soir et le samedi. »

« Nous vivons dans une société qui nous encourage tous à être méfiants des autres », a expliqué Mme Stone. « Nous vivons également dans une société qui privilégie le visible, ce qui signifie que si tu as n’importe quelle blessure ou incapacité invisible, on te soupçonne automatiquement d’essayer de t’en tirer avec quelque chose. »

« C’est un grand problème puisque la plupart des incapacités ne sont pas visibles. »

En plus de devoir composer avec leur nouvelle réalité, les travailleurs accidentés doivent également composer avec les membres de leur famille et leurs collègues qui ne sont pas si compréhensifs face à leur situation.

« Le plus dur, c’est quand un de tes collègues de travail te dit “ j’aimerais ça être à ta place ”, ou des choses du même genre », a expliqué un homme qui travaillait comme tuyauteur.

Un autre participant à l’étude de Mme Stone, un conducteur de bouteur, a parlé du manque de compréhension de sa famille.

« Dans famille, je pense avoir été complètement rejeté parce que je ne travaillais pas, a déclaré cet homme. Mon père a des valeurs très traditionnelles, du genre qu’il ne faut jamais s’absenter du travail. Il faut travailler, et travailler encore, même s’il pleut, même si on a mal, il faut travailler. »

Certains travailleurs accidentés ont déclaré se sentir abandonnés par des collègues qui étaient proches d’eux.

« Encore maintenant, presque tous les hommes avec qui j’ai travaillé pendant toutes ces années, je ne leur parle plus, a déclaré un travailleur de la construction. Avant mon accident, on pouvait passer des soirées entières dans un bar ou passer la fin de semaine ensemble. Dès que je me suis blessé, on m’a tout de suite rejeté, exclus. Bye! »

Et pour couronner le tout, les travailleurs accidentés doivent également vivre un processus difficile : demande d’indemnités, formation de recyclage ou tâches modifiées. Un des participants à l’étude de Mme Stone, un opérateur d’équipement blessé au dos, aux épaules et au cou, raconte que, pour son employeur, lui donner des tâches modifiées consistait à lui faire transporter du ciment dans une brouette.

Lesley Sanderson, agente des relations de travail au sein du Syndicat des employées et employés nationaux, mentionne que cela se produit souvent parce que la preuve médicale est déficiente – en fait, selon elle, c’est souvent le plus gros obstacle à surmonter pour obtenir des mesures d’adaptation adéquates.

« Les employeurs, les employés et les syndicats doivent s’appuyer sur les avis d’un expert médical, a expliqué Mme Sanderson. Si votre médecin ne connait pas bien le processus en ce qui a trait aux recommandations au niveau médical et des mesures d’adaptation, le processus devient complexe pour tous ceux qui se basent sur ces informations. »

Cependant, selon Mme Sanderson, une difficulté courante, c’est de s’assurer que les médecins fournissent les bons renseignements. Elle a dit que les employeurs devraient envoyer des lettres claires, qui demandent des renseignements adéquats, avec la description de tâches de l’employé.

« Quand avez-vous rencontré cette personne? Quel est le pronostic relativement à son retour? Quelles seront les restrictions et les limites imposées à cette personne à son retour au travail? Quelles sont les mesures d’adaptation recommandées? Beaucoup de médecins ne savent pas ce qu’ils doivent faire, et bien souvent les employeurs n’envoient pas la description de travail avec la lettre. Les médecins en ont vraiment besoin afin de bien comprendre la situation du travailleur. »

Cependant, même si les employés réussissent à obtenir des tâches modifiées, ils s’exposent tout de même au manque de compréhension de leurs collègues. Dans l’étude de Mme Stone, une commis au service à la clientèle a fait part de son expérience :

« Avec mes collègues, c’est spécial, a déclaré cette femme. Ils me regardent de haut parce que je n’arrive pas à faire certaines choses. Et ils ne se gênent pas pour en parler. “ Est-ce qu’il faut vraiment qu’on fasse tout ici? ” Je n’apprécie pas qu’on me le rappelle constamment, en plus. Une blessure, ce n’est pas simplement… il y a beaucoup d’autres problèmes qui s’y rattachent et qu’il faut gérer. Alors, on n’a pas… on n’a pas vraiment besoin de ça. On n’a pas besoin de commentaires déplaisants de collègues qui ne comprennent pas. »

Mme Sanderson encourage souvent des membres qui ont des problèmes importants de santé à être franc avec leur employeur.

« Il y a bien sûr des risques associés à cette ouverture, a-t-elle signalé. Mais, quand on le fait, ça semble à renforcer la confiance. Les gens peuvent comprendre plus facilement. »

« En parler à vos collègues peut se retourner contre vous – vous n’êtes pas obligé d’en parler. Cependant, si vous essayez de faire comprendre votre situation à l’autre personne, cela peut aider. »

Mme Sanderson croit que la question des mesures d’adaptation est vraiment d’actualité, compte tenu du vieillissement de la population.

« Personnellement, je crois qu’on ne devrait jamais avoir à négocier les mesures d’adaptation », conclut Mme Sanderson. Ce devrait être un processus auquel tout le monde participe pour permettre au travailleur de revenir au travail aussitôt que sa santé lui permet. »

Quant à la Professeure Stone, elle aimerait voir les syndicats éduquer leurs membres régulièrement sur le sujet des travailleurs accidentés – d’aller au-delà de la formation sur la prévention des accidents afin de se pencher sur la manière de traiter les travailleurs accidentés.

« Ils devraient sensibiliser tout le monde au fait que ce n’ait pas la faute du travailleur qu’il a été blessé. Ils ont besoin de l’appui de leurs collègues. Ils ont besoin de l’appui de leur syndicat. Ils ont besoin de l’appui de la gestion. »

Journée mondiale de la justice sociale

En 1912, Helen Keller a envoyé un chèque pour appuyer les travailleuses du textile en grève à Little Falls, dans l’État de New York. Elle a conclu la lettre qui accompagnait le chèque par les mots suivants : « La justice sociale ne sera possible que lorsque la majorité des gens se sentiront responsables du bien-être des autres1 ».

Les syndicats militent depuis longtemps pour la justice sociale. Au sein de l’AFPC, le Fonds de justice sociale sert à promouvoir le rôle que peuvent jouer les membres de l’Alliance  pour créer des collectivités plus fortes, un meilleur pays et un monde plus juste et plus humain2.

Selon Louise Casselman, agente du Fonds de justice sociale de l’AFPC, le fonds permet d’éliminer certaines inégalités au pays et à l’étranger.

« Les syndicats ne sont pas là uniquement pour permettre aux travailleurs de gagner leur pain – ce qui est évidemment un rôle important –, ils font aussi de la sensibilisation et jouent un rôle actif au sein de la société », explique Louise Casselman.

Environ la moitié des fonds sont octroyés à des programmes au Canada.

« Nous appuyons par exemple des programmes d’alphabétisation au Nunavut, dans les Prairies et dans les régions de l’Atlantique. Actuellement, nous soutenons aussi des programmes d’alphabétisation pour les accidentés du travail en Ontario et pour les travailleurs immigrants dans la région de Montréal. »

Savoir lire et savoir écrire sont des compétences particulièrement importantes dans la société moderne. Selon l’Enquête internationale sur les compétences en lecture de 2005, une grande proportion des Canadiens qui affichent de moins bons résultats en matière d’alphabétisation étaient les immigrants ou des personnes dont la langue maternelle n’est ni l’anglais ni le français3.

La plupart des Canadiens qui ont de la difficulté à lire et à écrire gagnent moins de 25 000 $ par année4.

Le Fonds permet aussi de financer des programmes parascolaires pour les jeunes à risque et des refuges pour les victimes de violence familiale. Le syndicat a aussi créé un partenariat avec l’organisation Canada sans pauvreté pour exiger plus de logements sociaux convenables.

« Nous travaillons tous ensemble pour améliorer la vie des gens les plus marginalisés de la société », affirme Louise Casselman.

Elle ajoute que bon nombre de nos membres participent à ces programmes sur le terrain.

« C’est difficile, admet-elle. Les membres du syndicat travaillent toute la journée et, le soir, ils travaillent bénévolement pour leur section locale, leur conseil régional ou un comité des droits de la personne –tout ça à titre bénévole –, puis ils s’engagent au sein de leur collectivité. C’est beaucoup. »

« C’est très important de souligner leur travail, alors nous voulons remercier tous ces champions de la justice sociale au sein de notre syndicat. »


[1] Helen Keller et Davis John. Helen Keller: Rebel Lives. Saint Paul, MN : Consortium Book Sales and Distribution, 2003. Document imprimé.

[2] Énoncé de mission du Fonds de justice sociale de l’AFPC.

[3] Le Quotidien, 9 janvier 2008, Statistique Canada.

[4] Ibid.