Journée internationale de la francophonie – #mon20mars

Par le comité des francophones

Pour souligner la Journée internationale de la francophonie, les membres francophones du Syndicat des employées et employés nationaux (SEN) souhaitent vous raconter l’histoire de la création du comité permanent des francophones au sein de notre Syndicat.

C’est au Congrès de l’Élément national, aujourd’hui le SEN, à Toronto, en 2008, que cette initiative a commencé à germer dans la tête de certain.e.s membres francophones de notre Syndicat à la suite du mauvais traitement réservé à l’une des deux langues officielles des Canadien.ne. s. Deux années se sont écoulées avant que des actions concrètes voient le jour.

Le samedi 14 août 2010 à la Conférence des droits de la personne à Saskatoon, suite au mécontentement des participant.e.s francophones, il a été convenu de rassembler une quinzaine de membres du Syndicat afin de discuter des situations problématiques et d’essayer de trouver des solutions justes et équitables. Daniel Kinsella, alors président national, a été invité à participer à cette rencontre. C’est ainsi que la première rencontre du comité des francophones a eu lieu.

Certaines situations soulevées lors de cette conférence ont été jugées inacceptables et ont poussé les francophiles à agir. Voici quelques exemples :

– lors de l’inscription électronique à la Conférence en français complétée, le programme informatisé nous renvoyait toujours au site en anglais;
– l’agence de voyages Saskatoon Coop n’offrait ni de service bilingue ni de service en français;
– le nom de certain.e.s participant.e.s francophones était mal inscrit sur l’identificateur de laissez-passer;
– les facilitatrices et facilitateurs d’ateliers n’étaient pas bilingues. Les documents d’appui étaient disponibles seulement en anglais;
– lors des ateliers, les francophones non bilingues se partageaient les services d’un.e seul.e interprète;
– l’absence d’interprétation simultanée aux caucus et aux élections;
– le journaliste qui effectuait les reportages était unilingue anglophone. Lorsque la personne interviewée répondait en français, il coupait court à l’entretien en leur disant : « Sorry I don’t speak french ».

Devant ces nombreux constats, le premier objectif du comité a été de devenir un comité permanent faisant partie intégrante de la structure du Syndicat. Le président national a alors donné son appui à cette démarche.

C’est ainsi que, lors du Congrès national de 2011 à Saint John, avec l’appui d’une résolution apportée sur le plancher du congrès et adoptée par les membres présent.e.s, la création du premier comité permanent des francophones du SEN a eu lieu.

Depuis sa création, ce comité continue de veiller à la défense et au respect de la langue de Molière dans le fonctionnement, les activités et événements de notre Syndicat, ainsi que dans la société civile. L’importante présence du SEN lors des différentes manifestations en appui aux Franco-ontarien.ne.s l’automne dernier, face aux coupures aux services en français en Ontario par le gouvernement Ford, illustre cet engagement.

Le comité s’assure de la représentation d’un.e membre francophone dans les comités directeurs de chaque conférence et congrès national. Une firme montréalaise est responsable de la traduction des documents et s’assure que les traducteurs et traductrices sont francophones. La compagnie de voyage W.E. Travel, dont les services sont désormais utilisés par le SEN, les offre dans les deux langues officielles.

Le comité des francophones tient à remercier les personnes qui ont pris la décision de créer un comité francophone pancanadien, Louise Patrice, Jean-Pierre Ouellet et Daniel Toutant, ainsi que la précieuse contribution de Georges St-Jean, conseiller technique, et de Nicole Clermont, pour le soutien administratif, ainsi que toute l’équipe du SEN pour le soutien et les efforts à assurer le service dans les deux langues officielles de notre pays au sein de notre Syndicat.

Bonne Journée internationale de la francophonie!

Le comité des francophones

 

Discrimination dans la fonction publique fédérale; l’histoire d’un membre.

Un membre du Syndicat des employées et employés nationaux fait part d’une expérience personnelle de discrimination en tant que membre de la communauté LGBT et son incidence à long terme.

Bonjour,

Suite aux excuses faites par le Premier ministre canadien vis-à-vis la discrimination du gouvernement fédéral envers la communauté LGBT le 28 novembre dernier, je désire vous partager ma propre expérience personnelle et encourager d’autres employés du gouvernement fédéral à se joindre aux démarches de recours collectif.

A la fin des années 70, j’ai appliqué à un concours aux Affaires étrangères pour les finissants universitaires pour des affectations à l’étranger. Dans le cadre des enquêtes de sécurité qui ont suivi avec la GRC, j’avais déclaré en toute bonne foi que j’étais homosexuel.  Suite à cette enquête, on m’a refusé de joindre la liste de candidats pour un poste au sein du Ministère.  Via le Bureau d’accès à l’information, j’ai alors demandé à prendre connaissance du rapport d’enquête.  Tout le contenu était essentiellement positif, mais certaines parties étaient rayées.  J’ai alors eu un échange avec des personnes qu’on avait approchées lors de cette enquête pour constater que les informations manquantes étaient reliées à la confirmation de mon orientation sexuelle.  J’ai fait appel à la Commission des droits de la personne qui rendit une décision positive contre cette discrimination.  Le Ministère des Affaires étrangères accepta alors de me mettre dans la liste de candidats, mais une couple de mois plus tard, cette liste était fermée, sans jamais avoir eu la possibilité d’entrer à l’emploi du Ministère.

Avec ma maîtrise en relations internationales, je me suis donc résolu à travailler au sein de différentes organisations communautaires, les emplois qui s’offraient alors à moi. Ce n’est qu’en l’an 2000, à 45 ans que j’ai finalement tenté une nouvelle démarche pour entrer dans la fonction publique fédérale.  J’ai alors obtenu un emploi professionnel à Ressources humaines et Développement social Canada.  Six ans plus tard, en 2006, j’ai eu la possibilité d’obtenir une mutation à l’Agence canadienne du développement international pour me retrouver finalement à Affaires mondiales Canada, lors de la fusion entre les deux ministères.

Que de chemin parcouru… entre le concours où j’ai fait l’objet d’une discrimination et mon entrée à Affaires mondiales Canada. Il se sera écoulé 33 ans!  Outre cette opportunité manquée d’entrer dans mon ministère à la fin de mon cours universitaire, me voilà au début de la soixantaine à devoir continuer à travailler jusqu’à 65 ans pour obtenir une pension respectable, soit avec 24 ans d’ancienneté.  Je ne veux pas me plaindre, car la vie a été tout de même bonne pour moi, mais je veux juste souligner l’impact de cette décision discriminatoire sur le parcours d’une vie.

Je suis convaincu que plusieurs d’entre vous avez eu aussi un parcours rendu difficile par les politiques discriminatoires qui prévalaient dans les années passées au sein du gouvernement fédéral.  Je vous encourage donc à faire comme moi et à vous prévaloir du recours collectif.  Ce ne sera pas une solution à tout, évidemment.  Mais ce sera un baume sur les difficultés que nous avons traversées.

Merci de l’attention que vous avez accordée à mon témoignage!

 

Harper est arrêté

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Après dix ans de compression des services gouvernementaux, de mensonges sur la sécurité et les changements climatiques, de mépris pour les autochtones et de tromperie des Canadiens sur nombre de fronts, les électeurs ont accouru aux bureaux de vote pour enfin mettre un terme au règne de Stephen Harper et de son régime conservateur. Les Canadiens ont voté pour la fin des compressions.

« Nos membres, à l’instar de tous les Canadiens, ont vu clairement pendant la campagne électorale que rien n’allait plus au parlement; les principales activités du gouvernement qui y siégeait étaient de duper les gens et d’occulter la vérité » affirme le président national du SEN, Doug Marshall. « Nous espérons établir des relations de travail positives avec le nouveau gouvernement, et nous veillerons à ce que les libéraux remplissent les promesses formulées dans leur programme. »

Nous surveillerons étroitement les promesses suivantes :

  • Renouveler la fonction publique pour que les employés y soient de nouveau respectés et valorisés
  • Hausser les impôts des mieux nantis
  • Augmenter le financement pour des projets d’infrastructure nécessaires
  • Amorcer une enquête sur les femmes autochtones disparues ou victimes de meurtre
  • Abroger diverses lois hostiles aux travailleurs et aux syndicats

Le Syndicat des employées et employés nationaux est prêt à travailler avec le nouveau gouvernement afin d’apporter des changements positifs dans la vie des Canadiens et de renforcer la fonction publique.

Les Canadiens et Canadiennes veulent du changement

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L’AFPC exhorte le nouveau gouvernement à rétablir les services publics et ses relations avec les fonctionnaires fédéraux

OTTAWA, le 19 octobre 2015 – Aujourd’hui, les Canadiens et Canadiennes ont fait leur choix : ils ont rejeté les conservateurs de Stephen Harper et voté en faveur du changement. Et ce sont là des nouvelles qu’accueille favorablement l’Alliance de la Fonction publique du Canada.

« Le nouveau gouvernement libéral a maintenant un solide mandat pour changer les choses, affirme Robyn Benson, présidente nationale de l’AFPC. Pour ce faire, il doit, entre autres, rétablir les services publics et de bonnes relations avec sa fonction publique. Nous enjoignons donc aux libéraux d’oser une nouvelle façon de faire de la politique et de concert avec les députés démocrates et tous les autres élus progressistes, de travailler pour remettre le Canada sur les rails. »

Avant et pendant la campagne électorale, l’AFPC a mené une campagne de sensibilisation publique pour convaincre la population de voter pour stopper l’hémorragie provoquée par l’ancien gouvernement conservateur. Un sondage mené peu de temps avant le jour du scrutin montre qu’une large part de la population croyait que la question des coupes aurait un impact sur les résultats de l’élection.

« Tout au cours de la campagne électorale, nous avons pu constater sur le terrain que les électeurs et les électrices en avaient assez des attaques constantes des conservateurs de Harper à l’égard des fonctionnaires fédéraux. L’AFPC, le plus grand syndicat de la fonction publique fédérale, espère rencontrer le plus tôt possible les représentants du nouveau gouvernement pour discuter des mesures à prendre pour redresser les torts causés par les conservateurs et améliorer les relations de travail au sein de la fonction publique fédérale, » déclare Robyn Benson.

Au cours de ses quatre dernières années au pouvoir, le gouvernement conservateur a adopté une série de projets de loi omnibus qui ont modifié en profondeur les lois sur la négociation collective et celles qui protègent la santé et la sécurité des employés de l’État. Durant la campagne électorale, les libéraux ont promis de rétablir le droit à la libre négociation et d’abroger les lois antisyndicales adoptées par les conservateurs.

« Nous enjoignons au nouveau gouvernement de remplir ses promesses sans tarder », de conclure Robyn Benson.

L’AFPC demande au nouveau gouvernement :

  • De rétablir et d’améliorer les services publics et de procéder à la réouverture des neuf bureaux d’Anciens Combattants fermés par les conservateurs en 2014.
  • D’abroger les dispositions adoptées dans les derniers budgets (C-4, C-10 et C-59) qui ont modifié la législation du travail, imposé des réductions salariales, retiré le droit à l’équité salariale, affaibli les protections en matière de santé et sécurité au travail et permis au gouvernement de retirer unilatéralement les dispositions sur les congés de maladie dans les conventions collectives librement négociées.
  • De rétablir le droit des syndicats de représenter leurs membres lorsque ceux-ci déposent une plainte en matière d’équité salariale.
  • D’abroger le projet de loi C-525, qui entrave la syndicalisation des travailleuses et travailleurs du secteur fédéral, ainsi que le C-377, qui enfreint les droits constitutionnels et le droit à la vie privée.

Jour de deuil national – Une commémoration pleine de dignité

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Par Kevin King

Il y a quelques années, j’ai eu la chance d’assister au congrès annuel du SEN à Toronto, où j’ai eu l’occasion de renouer et de créer des amitiés. Nous avons parlé de questions qui nous tiennent à cœur et, fait plus important encore, des membres que nous représentons.

Nombre d’activités s’offraient à nous près du lieu du congrès, l’hôtel Royal York dans la rue Front, et délégués et invités ont tiré parti des installations et des nombreux endroits avoisinants.

Le premier jour du congrès, je suis sorti seul me promener dans la rue Front et, environ trois pâtés de maisons plus loin, je suis arrivé devant un monument à la mémoire des travailleuses et travailleurs décédés en milieu de travail en Ontario, entre 1900 et 1999.

L’hommage intitulé Monument dédié aux travailleurs blessés de la CSPAAT au Parc Simcoe, est situé en face du Palais de congrès du Toronto métropolitain, près de l’avenue Spadina.

Ce monument est constitué de deux œuvres distinctes. La première s’intitule 100 Workers et consiste en deux longs murs bas faits de granit rouge poli. Sur le dessus des murs se trouvent 100 plaques de bronze et sur chacune d’elle est gravé le nom d’un travailleur qui est mort dans un accident de travail. Sur chacune des plaques de la période entre 1901 à 1999, un nom de travailleur est gravé; la plaque de l’année 2000 est restée vierge.

Le deuxième élément de ce monument s’intitule The Anonymity of Prevention. Il s’agit d’une sculpture de bronze représentant un homme habillé en travailleur et portant un équipement complet de protection, à demi agenouillé, en train de buriner le mur des 100 Workers.

Je ne pouvais m’empêcher de contempler ce magnifique ouvrage en pierre qui fait état du nom des travailleurs, de l’endroit où ils ont travaillé et de la façon dont ils sont morts au travail.

Ces travailleurs avaient une famille, et je suis convaincu qu’ils s’attendaient à rentrer à la maison pour la rejoindre après chaque journée de travail. Je regrette de ne pas avoir partagé avec l’ensemble des délégués au Congrès cette découverte, à trois pâtés de maisons de la salle de conférences, et je me suis senti un peu coupable de ne pas avoir proposé l’occasion de marquer notre visite avec une procession solennelle et une commémoration empreinte de dignité.

Faisons preuve de compassion et reconnaissons désormais le 28 avril comme le Jour de deuil national pour les travailleuses et travailleurs tués ou blessés en milieu de travail, et raffermissons, en tant que syndicalistes, notre engagement à mettre nos milieux de travail à l’abri de tout danger ou de toute maladie professionnels.

Pour voir plus de photos de l’hommage, veuillez cliquez ici.

Respectueusement,

Kevin King
Vice-président exécutif national
Syndicat des employées et employés nationaux, AFPC

Jour de deuil national

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Par Geoff Ryan

Le 28 avril est le Jour de deuil national pour les travailleuses et les travailleurs tués ou blessés en milieu de travail. Au cours de cette journée, les drapeaux des édifices gouvernementaux seront mis en berne, et des cérémonies auront lieu dans les collectivités du Canada. Des travailleurs se rassembleront à ces cérémonies; certains arboreront des brassards noirs, d’autres déposeront des fleurs et des couronnes; des chandelles seront allumées, et les noms des travailleurs qui sont morts à la suite d’incidents en milieu de travail ou de maladies professionnelles seront lus. On demandera aux personnes présentes d’observer une minute de silence à leur mémoire et en leur honneur.

Tout le monde doit assister à ces événements, non seulement pour se souvenir de ces personnes qui ne sont plus, mais aussi pour accroître la sensibilisation à l’égard du fait que la santé et la sécurité au travail doivent être améliorées au Canada.

La plupart des gens sont conscients des dangers liés à l’utilisation d’outils électriques, mais qu’en est-il des dangers liés au fait de travailler dans un immeuble à bureaux? Saviez-vous que l’exposition à l’amiante est la principale cause de décès au Canada liée au lieu de travail, comptant pour près du tiers des demandes de prestations de décès présentées et approuvées depuis 1996? L’amiante entre dans la composition de produits comme les patins de frein, et peut aussi être présente dans les tuyaux et matériaux d’isolation. Nombre de pays ont banni l’amiante, mais ce n’est pas le cas du Canada. Par ailleurs, le gouvernement n’a pas avisé les citoyens que même de petites quantités d’amiante pouvaient constituer un risque cancérogène pour la santé. Il n’existe aucune base de données nationale répertoriant les édifices contenant de l’amiante au Canada, malgré les demandes des syndicats d’en créer une. La Saskatchewan est la seule administration au Canada qui possède une telle base de données. Elle a été créée grâce à l’adoption de la loi de Howard (Howard’s Law).

La commémoration annuelle du Jour de deuil national renforce notre détermination à mettre en place des conditions de travail sûres et de prévenir les blessures et les décès. Cette journée vise autant à se souvenir des disparus qu’à lancer un appel visant à protéger les vivants. J’encourage tout le monde à participer à la cérémonie du Jour de deuil dans leur région et, si aucune cérémonie n’a lieu dans votre région, veuillez envisager d’observer une minute de silence à votre travail.

Geoff Ryan est le vice-président national aux droits de la personne du SEN. 

Fête du Travail ou congé de détente?

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Pendant leurs beaux jours, les défilés de la fête du Travail étaient un spectacle impressionnant. Les gens se rassemblaient le long des rues pour voir les chars allégoriques qui tenaient lieu de monuments dédiés à la contribution de chaque travailleur à la société. C’était un jour où plombiers et pompiers marchaient côte à côte pour symboliser l’unité qui régnait au sein de la classe ouvrière.

Toutefois, les défilés de la fête du Travail ont toujours dû faire concurrence à l’un des principaux buts de la fête : obtenir du temps libre pour s’adonner à des loisirs. De fait, pour de nombreux Canadiens, la fête du Travail évoque davantage une longue fin de semaine de détente au chalet que les tribulations du mouvement ouvrier.

« La tension a été créée au tout début », a expliqué M. Craig Heron, qui enseigne l’histoire à l’Université York. « Il s’agissait d’une célébration du travail qui, implicitement, avait une teinte politique ainsi que d’une journée de plaisir.

« Il est manifestement problématique d’essayer de continuer à concilier ces aspects. »

Selon M. Heron, la fête du Travail se portait bien avant que le Parlement n’en fasse une fête officielle. Selon The Workers’ Festival, livre qu’il a corédigé avec Steve Penfold, les défilés de la fête du Travail remontent au début des années 1880, soit bien des années avant que la journée ne soit officiellement reconnue à l’échelon fédéral (en 1894).

Elle a d’abord été célébrée à Toronto, en 1882, à Hamilton et Oshawa, en 1883, à London et Montréal, en 1886, à St.Catherines’, en 1887, à Halifax, en 1888 et à Ottawa et Vancouver, en 1887. [traduction]

À cette époque, les travailleurs demandaient seulement à leur municipalité locale de déclarer la journée fête civique.

« Ensuite, ils ne faisaient que la célébrer. Les travailleurs prenaient congé pour la journée, a expliqué M. Heron.  En 1894, [le Parlement est] seulement intervenu pour enchâsser dans la loi un fait accompli. »

Ce précieux congé était d’autant plus important à la fin du 19e siècle que les travailleurs n’avaient pas de vacances et que le samedi faisait partie de la semaine de travail.

« Les jours fériés – la fête de Victoria, la fête du Canada et un jour férié au mois d’août, dans certaines parties du pays – étaient les seules vacances. »

En fin de compte, M. Heron considère que le mouvement en faveur des vacances payées était une extension de la demande initiale concernant le congé automnal.

Comme il y avait si peu de congés, le défilé de la fête du Travail a fait face à un concurrent de taille dès le départ. Il n’a pas fallu longtemps aux dirigeants syndicaux pour déplorer le fait que de nombreux travailleurs choisissaient plutôt de passer cette journée de loisirs à la taverne ou à la salle de billard du quartier. Bientôt, le mouvement ouvrier était en concurrence avec un éventail d’autres choix de plaisirs vacanciers, où les forces du marché cherchaient à combler un vide.

Néanmoins, le défilé attirait toujours une foule impressionnante. Les spectateurs pouvaient entrevoir le travail d’un artisan et ses outils de travail. Pour les travailleurs, c’était une occasion de se présenter comme les rouages essentiels d’une société de producteurs. Pour les syndicalistes, c’était une démonstration de force du mouvement ouvrier, démonstration qui, l’espéraient-ils, attirerait davantage de travailleurs dans leurs rangs.

Mais cette situation devait changer au fil des ans.

« La fête du Travail a évolué, a expliqué M. Heron.  Ce que Steve et moi voulions souligner dans le livre, c’était comment elle a été réinventée un certain nombre de fois. »

Les défilés des années 1940 se caractérisaient par ce que M. Heron appelait « une tension plus vive », c’est-à-dire des manifestations enflammées s’apparentant davantage à celles de la Journée internationale des travailleurs. Après la Seconde Guerre mondiale, on a tenté d’intégrer l’activisme aux anciennes traditions.

« On montait un spectacle qui puisait dans les éléments culturels que les gens s’attendaient à voir dans un défilé; on ajoutait les clowns et les jolies filles en jupe courte, a expliqué M. Heron. Ces éléments, qui, aujourd’hui, nous semblent frivoles, coexistaient avec des chars allégoriques soulignant des enjeux cruciaux : “Que nous réserve l’automatisation?” “Nous avons besoin d’une assurance-maladie!” »

Graduellement, à mesure que le mouvement ouvrier entrait dans une période plus tumultueuse, dans les années 1970, les éléments frivoles ont été abandonnés en faveur d’activités qui étaient davantage axées sur la protestation.

Malgré ces fluctuations, une chose est demeurée constante : les défilés de la fête du Travail étaient une initiative populaire habituellement dirigée par un conseil du travail local.

À Ottawa, le défilé de la fête du Travail est organisé par le Conseil du travail d’Ottawa et du district. À quelques jours seulement du grand jour, la voix de Sean McKenny, président du Conseil du travail, résonne déjà avec fierté et enthousiasme.

« Tout est gratuit », de dire M. McKenny, en pressant tout le monde d’assister aux festivités. « Nous offrons des hot-dogs, du maïs en épi, des sacs de chips, des boissons gazeuses et du jus pour tout le monde – pour les enfants, nous avons un château gonflable et organisons des tours de poney. »

Depuis plus d’un siècle un défilé de la fête du Travail a lieu à Ottawa. Et depuis quelques années, les festivités se déroulent selon une formule standard : tout le monde se rassemble à l’hôtel de ville et marche vers un parc à proximité, où le plaisir se poursuit.

M. McKenny soutient que l’événement met davantage l’accent sur la famille et les loisirs que sur l’activisme et la protestation.

« L’une des choses que nous disons souvent, par ici, c’est : “Nous avons un peu plus de 360 autres jours dans l’année pour manifester et nous rassembler; alors aujourd’hui, nous allons nous amuser et célébrer tout le dur labeur que nous effectuons tout au long de l’année.”

M. McKenny fait valoir que, à Ottawa, le défilé est loin de rendre son dernier souffle. Après avoir participé à sa planification pendant plus de 20 ans, il affirme qu’il ne fait aucun doute que le taux de participation a augmenté. De plus, il espère que les attractions axées sur la famille constitueront le prolongement de la campagne du Congrès du travail du Canada, qui vise à brosser un tableau différent des syndicats – un tableau qui contredit les perceptions du public selon lesquelles les membres des syndicats sont radicaux et constamment en grève.

Dans la même veine, les festivités de la fête du Travail continuent d’être un moyen de communication important. Dans leur livre, MM. Heron et Penfold déclarent que les défilés « visaient à transmettre des messages puissants, symboliques et principalement non littéraires au sujet des valeurs sociales et politiques appropriées et des relations sociales acceptables. »

« Dans les années 1880 à 1890, il y avait tout le temps des défilés dans les rues, s’est exclamé M. Heron.  C’était un véritable mode de communication. On s’attendait à voir des défilés; on allait les regarder. Ce qu’on y présentait, l’aspect des gens, la façon dont ils étaient habillés et dont ils s’organisaient, ce qu’ils portaient et ce qu’ils montraient – tout cela était un mode de communication avec la foule qui regardait. »

Toutefois, à l’ère numérique, où les messages peuvent atteindre un public plus vaste, quelle que soit leur proximité avec un centre urbain, les défilés ont-ils encore leur place? Les ressources pourraient-elles être plus sagement investies ailleurs?

M. Heron soutient qu’il y a encore quelque chose de très puissant et viscéral à voir des gens se rassembler pour une manifestation publique.

« Je pense que cela s’inscrit dans le débat auquel tout le monde participe au sujet des médias sociaux, a‑t-il répondu. C’est un débat que nous tenons dans le milieu universitaire au sujet des cours en ligne : quel est l’avantage de rassembler les gens en personne, pour quelque raison que ce soit? »

Au lieu de remplacer l’acte qui consiste à descendre dans la rue, les médias sociaux peuvent servir à favoriser cet acte. Selon M. Heron, Occupy et Idle No More étaient d’excellents exemples de mouvements qui utilisaient ces outils efficacement afin de mobiliser un plus grand nombre de manifestants.

« Des gens qui se tiennent debout ensemble, qui marchent ensemble et qui se retrouvent quelque part en personne dégagent une puissance incroyable. On ne peut ressentir cela d’aucune autre manière.

« Grâce à ces événements, les gens ressentent de la fierté et ont l’impression d’avoir du pouvoir et d’être capables de grandes choses. C’est pourquoi, selon moi, dans les situations de grève et dans le cadre de manifestations, les gens y ont recours encore et encore comme moyen de montrer au monde qu’il y a des gens qui se préoccupent de leur cause et de ressentir une certaine solidarité. »

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Si le présent article vous a inspiré et incité à participer à votre défilé local de la fête du Travail, veuillez communiquer avec le conseil du travail local de votre district. À Ottawa, on espère recruter encore dix à vingt bénévoles.

L article s’appuie fortement sur les renseignements figurant dans le livre de Craig Heron et Steve Penfold intitulé The Workers’ Festival: A History of Labour Day in Canada. M. Heron est l’auteur de plusieurs livres sur le mouvement ouvrier canadien, notamment The Canadian Labour Movement: A Short History. Quelques membres du SEN figurent d’ailleurs sur la couverture de ce livre!

Nous remercions Craig Heron et le président du Conseil du Travail d’Ottawa et du district, Sean McKenny, d’avoir pris le temps de parler avec nous.

Le 1er mai – Journée internationale des travailleurs

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Le 4 mai 1886, une manifestation pacifique organisée par des militants syndicaux de Chicago a soudainement tourné à l’émeute lorsqu’une bombe a explosé. Les policiers ont réagi en tirant en aveugle dans la foule. Au total, sept agents et quatre travailleurs ont trouvé la mort; un seul décès était dû à la bombe.

Selon le regretté historien William J. Adelman, le « massacre de Haymarket » est le fait le plus marquant de l’histoire du syndicalisme. L’historien était d’avis que peu de manuels expliquaient l’incident de façon suffisamment détaillée – et qu’un grand nombre occultait tout simplement des faits cruciaux.

« Les véritables enjeux des événements de Chicago étaient la liberté de parole, la liberté de presse, la liberté d’association, le droit à un procès équitable devant un jury composé de pairs et le droit des travailleurs à s’organiser et à lutter pour des choses comme la journée de huit heures », écrit Adelman.

Quelques jours plus tôt, le 1er mai, quelque 80 000 travailleurs manifestaient en faveur d’une journée de travail de huit heures; la loi accordait déjà cet horaire aux travailleurs du gouvernement fédéral et des États, mais les employeurs n’en tenaient pas compte. Selon Adelman, pour obtenir un emploi, les employés étaient forcés de signer une renonciation à leurs droits.

Le lendemain, 35 000 protestataires se réunissaient pacifiquement. Mais le surlendemain, 3 mai, la police de Chicago commençait à s’en prendre aux piqueteurs. Ceux-ci ont donc organisé en réaction une autre manifestation, le 4 mai. Adelman note que le maire de la ville avait approuvé cette manifestation – un fait que l’on passe souvent sous silence. En fait, le maire, favorable aux syndicats, s’y était présenté.

« Le rassemblement de Haymarket touchait à sa fin, et il ne restait plus qu’environ 200 personnes lorsque 176 policiers, armés de carabines à répétition Winchester, les ont attaquées […] C’est alors qu’un individu, non identifié encore aujourd’hui, a lancé la toute première bombe à la dynamite à avoir été utilisée en temps de paix dans l’histoire des États-Unis. Les policiers ont paniqué et, dans la pénombre, ont tiré, souvent dans leurs propres rangs. Au bout du compte, sept policiers ont perdu la vie, mais un seul décès est directement lié à la bombe. Il y a également eu quatre morts parmi les travailleurs, fait dont les manuels parlent rarement. »

Les événements qui ont suivi sont encore plus ahurissants. La loi martiale a été imposée dans tout le pays; le massacre servait d’excuse pour écraser le mouvement syndical.

Huit hommes, « représentatifs du mouvement syndical », ont été traduits en justice et été déclarés coupables. Sept ont été condamnés à la pendaison; le dernier a écopé d’une peine d’emprisonnement de 15 ans.

Parmi les condamnés à mort, Louis Lingg, un menuisier de 21 ans, a été accusé d’avoir lancé la bombe, malgré qu’il avait un alibi indiquant qu’il se trouvait à plus d’un kilomètre des lieux lorsque la bombe a explosé.

« Le juge lui-même a été forcé de reconnaître que le procureur de l’État n’avait pas été capable de me relier à l’explosion de cette bombe, a déclaré Lingg dans son ultime intervention. Mais le procureur a su contourner le problème. Il m’accuse d’être un “conspirateur”. Quelles preuves a-t-il? Il se contente de déclarer qu’une [organisation politique anarchiste internationale] équivaut à une “conspiration”. J’étais membre de cette organisation, il peut donc facilement me lancer cette accusation. Excellent! Il n’y a rien à l’épreuve du génie d’un procureur de l’État! »

On a par la suite retrouvé Lingg mort dans sa cellule; il s’était suicidé le jour précédant son exécution.

Oscar Neebe, qui avait été condamné à une peine d’emprisonnement de 15 ans, a eu ce mot célèbre : il a dit au juge qu’il était désolé de n’être pas pendu – qu’il aurait préféré mourir rapidement que d’être tué à petit feu pour un crime qu’il n’avait pas commis.

« Ils ont trouvé un révolver chez moi, et aussi un drapeau rouge, a déclaré Neebe après le prononcé de sa sentence. Je mettais sur pied des syndicats. J’étais en faveur de la réduction des heures de travail, pour l’éducation des travailleurs, pour le rétablissement du Arbeiter-Zeitung – le journal des travailleurs. Rien ne prouve que j’aie eu quelque chose à voir avec la bombe, que j’étais près de la bombe, rien de tout cela. »

Sept années ont passé.

Peu après son entrée en fonction, en 1893, le gouverneur de l’Illinois John Peter Altgeld a accordé le pardon à Neebe et à deux autres hommes dont la peine avait été commuée en emprisonnement à vie.

Lorsqu’il a exposé les motifs de son pardon, Altgeld n’a pas mâché ses mots. Il a déclaré que les membres du jury avaient été sélectionnés avec soin, selon qu’ils étaient favorables à une condamnation, que l’on n’avait pas prouvé la culpabilité des défendeurs quant aux crimes pour lesquels ils étaient accusés et que le juge ne leur avait pas accordé un procès équitable.

Altgeld conclut qu’il ne s’agissait pas d’une conspiration en vue de commettre un meurtre : « Si la théorie de la poursuite était correcte, il y aurait eu plusieurs bombes. Le fait qu’une seule bombe a été lancée montre qu’il s’agit d’un acte de revanche personnelle. »

Le gouverneur fait carrément porter le blâme sur le capitaine de police John Bonfield, qui « n’a pas pu résister à la tentation de tabasser quelques individus de plus » dès qu’il a appris que le maire avait quitté le rassemblement.

Il note que la réunion était terminée et que la foule se dispersait déjà.

« Si les policiers étaient restés à l’écart encore 20 minutes, il ne serait plus resté personne. »

« Le capitaine Bonfield est le véritable responsable de la mort des agents de police. »

Altgeld note également qu’une bonne partie des éléments de preuve présentés au procès avaient été fabriqués. Il a accusé quelques agents de police trop zélés de vouloir terroriser « des hommes ignorants en les jetant en prison et en les menaçant de torture s’ils refusaient de déclarer sous serment tout ce qu’ils leur disaient de dire. »

On a également dit que ces mêmes agents de police avaient offert de l’argent et un emploi à ceux qui acceptaient de se parjurer.

En juillet 1889, un délégué américain participant à une conférence sur le travail à Paris a demandé que le 1er mai soit déclaré Journée internationale du travail en mémoire des hommes qui avaient perdu la vie dans le cadre du massacre de Haymarket. Aujourd’hui, la Journée internationale des travailleurs est célébrée le 1er mai dans plus de 80 pays.

Mais le mouvement syndical n’est pas officiellement célébré ce jour-là aux États-Unis.

En 1894, après avoir réprimé une grève des chemins de fer, le président Grover Cleveland voulait marquer des points auprès des syndiqués. C’est à ce moment-là qu’il a décidé d’instituer une fête nationale « en l’honneur des travailleurs ».

Mais le président Cleveland n’a pas choisi la date du 1er mai; il craignait « d’encourager les fauteurs de troubles à commémorer l’émeute de Haymarket ».

Big Steve (comme on appelait parfois le président) a choisi plutôt le premier lundi de septembre. C’est à cette date que les Canadiens célébraient déjà leur fête du Travail en commémoration de la grève des typographes de Toronto, qui réclamaient une journée de travail de neuf heures.

Meutre à Buckingham

Si vous ne connaissez pas trop la banlieue de la région de la capitale nationale, vous n’avez probablement jamais entendu parler de Buckingham. C’est une petite collectivité d’environ 10 000 personnes, bien que, techniquement, depuis la méga fusion de Gatineau, elle fait maintenant partie de la ville.

Cependant, au début des années 1900, la ville de Buckingham était tout autre chose.

« Disons qu’elle était très semblable à d’autres endroits au Québec, en Ontario et ailleurs; il n’y avait pratiquement qu’une seule industrie », explique Pierre-Louis Lapointe, historien et auteur de plusieurs livres sur Buckingham.

Les habitants de la ville n’avaient pas beaucoup de choix, puisqu’il n’y avait que deux grands employeurs sur place : la Electric Reduction Company et la compagnie MacLaren.

Les MacLaren étaient des exemples parfaits de requins de l’industrie; ils ont amassé leur fortune en exploitant les ressources naturelles, en entretenant des liens étroits avec le gouvernement et en sous‑payant leurs employés.

En 1906, après avoir acheté leur seul grand concurrent dans la ville, les MacLaren étaient propriétaires de deux scieries et d’une usine de pâte à papier. À ce moment-là, ils avaient acheté le plus de terrains possible autour de la rivière — tout ça pour empêcher d’autres entreprises d’empiéter sur leur territoire.

Par mesure de sécurité, les MacLaren ont aussi acquis des droits exclusifs pour fournir de l’électricité et construire des chemins de fer dans la ville.

« Ils ont ainsi pu empêcher la construction de chemins de fer qui auraient  traversé la municipalité », poursuit M. Lapointe.

Sans chemin de fer pour transporter le bois d’œuvre ailleurs, les agriculteurs et les propriétaires de terres dans le secteur n’avaient d’autre choix que de vendre leur bois à la compagnie MacLaren.

« C’est un des outils qu’ils ont utilisé pour établir leur monopole. »

Pour les hommes qui travaillaient pour la compagnie MacLaren, les temps étaient durs.

« Croyez-vous que c’est humain de donner $1,25 par jour à des hommes qui travaillent de 7 heures du matin à 6 heure le soir, dans l’eau, la boue, sur les billots? » un ouvrier est cité comme ayant dit, en 1906. « Le travail est brutal et pénible. Ainsi, moi, j’ai 6 enfants; allez donc faire manger ça, instruire ça, habiller ça et faire la même chose, vous-même, avec un piastre et quart par jour. 1»

En 1906, le coût de la vie augmentait rapidement.

« À ce moment-là, les ouvriers n’en peuvent plus », explique M. Lapointe.

Quand les employés ont essayé de se syndiquer, les MacLaren ont rapidement décrété un lockout. L’entreprise a embauché des détectives (des gardes armés), et des briseurs de grève transportaient les billes de bois. Le conflit a atteint son apogée le 8 octobre 1906, lorsque les travailleurs ont voulu convaincre les briseurs de grève de s’en aller.

« Malgré les railleries et les sarcasmes anti-français qui leur sont lancés par les détectives, les hommes de Bélanger sont résolus à garder leur calme. Mais, soudain, retentit un sinistre commandement qui va mettre le feu aux poudres. Shoot them! [Tirez-les!] Ce cri vient du rang des détectives.2 »

« C’était une embuscade », a déclaré M. Lapointe.

Deux hommes ont été tués : Thomas Bélanger et François Thériault – des membres de l’exécutif. À leurs funérailles, ces hommes ont été dépeints comme des martyrs du mouvement syndical.

Les MacLaren ont été par la suite acquittés des meurtres. Selon le livre de M. Lapointe, le procureur était furieux et a déclaré qu’il porterait la décision du juge en appel. Il a presque aussitôt reçu un télégramme du procureur général du Québec lui disant de ne pas interjeter appel.

Les MacLaren avaient des amis haut placés.

Dans les mois et les années qui ont suivi le conflit d’octobre 1906, plus de 60 % des syndicalistes ont quitté le village. Les MacLaren avaient inscrit sur leur liste noire les fauteurs de trouble — et cette liste circulait parmi les autres employeurs du village qui n’ont pas hésité à accéder aux demandes de la famille MacLaren.

« Une des personnes interrogées au sujet de cette liste noire m’a raconté le cas d’un garçon qui, après avoir réussi aux examens et aux entrevues, se fait convoquer au bureau de R.M. Kenny qui sort un cahier du tiroir de son bureau et l’interroge sur ses liens de parenté avec tel ou tel ouvrier mêlé aux troubles de 1906…. Et de conclure sèchement Kenny : Sorry, there’s no job for you here ! [Désolé, il n’y a pas d’emploi pour toi ici!] 3»

« En quelques années, la population de la ville de Buckingham a diminué de 25 % — ce qui est énorme », ajoute M. Lapointe.

En 1934, les travailleurs ont, une fois de plus, essayé de se syndicaliser. Le Pulp and Sulfite Workers’ Union avait réussi à convaincre plus de 60 travailleurs de signer une carte d’adhésion. Malheureusement, l’entreprise a eu vent de ce qui s’organisait grâce à un espion infiltré parmi les travailleurs.

L’entreprise a réagi en congédiant toutes les personnes concernées.

« Donc, ça été une deuxième tentative de syndicalisation qui a été tuée dans l’œuf », résume M. Lapointe.

La seule chose à faire pour combattre l’entreprise MacLaren était d’améliorer le réseau routier pour permettre aux habitants de la ville de vendre du bois d’œuvre à d’autres entreprises.

« Vers la même époque, poursuit M. Lapointe, le gouvernement provincial du Québec s’est penché sur les conditions de travail des bûcherons et des travailleurs dans le domaine forestier. Par la suite, le gouvernement  a mis en place une sorte de salaire minimum, ce qui a forcé la compagnie MacLaren à augmenter le salaire de ses travailleurs. »

Et finalement…

« Ce qui a le plus aidé les ouvriers, c’est en fait – c’est  un petit peu drôle à dire – mais c’est la Deuxième Guerre mondiale », déclare M. Lapointe.

À ce moment-là, pratiquement tout était considéré essentiel pour l’effort de guerre. Les syndicats n’étaient pas autorisés à faire la grève, et les patrons ne pouvaient pas déclarer de lockout.

« Les MacLaren ont été obligé d’accepter la création d’un comité permanent de négociation entre les ouvriers et le patron », mentionne M. Lapointe.

La création de ce comité marque un changement important dans les conditions de travail. Et puis, en 1944, un syndicat est enfin reconnu par les MacLaren.

On connaît peu cette histoire à l’extérieur de Buckingham. En 1990, M. Lapointe a écrit un livre sur l’histoire de la ville de Buckingham dans lequel il relate le conflit de 1906. Le livre a été publié en anglais et en français, mais M. Lapointe affirme que les exemplaires en anglais ont tous disparu.

« Impossible d’en trouver un dans les bibliothèques. J’ai du mal à imaginer… mais les MacLaren ont le bras long », déclare-t-il à la blague. « C’est une histoire qui ne fait pas plaisir à certains éléments capitaliste. »

Selon M. Lapointe, cette histoire illustre bien qu’il y a toujours des liens entre la politique et l’économie — et que cela peut rarement être prouvé aussi clairement que par le conflit de 1906.

« Aujourd’hui, on blâme le syndicalisme et les unions pour tous les maux de l’économie et de la société », écrit M. Lapointe dans l’introduction de son livre en 1984. « Il est important de rappeler le rôle joué par le syndicalisme dans l’amélioration de nos conditions de vie. Il faut relever la tête comme Thomas Bélanger et François Thériault… pour eux, et pour tous ceux qui se sont sacrifiés pour leurs semblables, nous nous devons de régir. Nous leur devons bien ça!4 »


[Note de la rédaction : Nous sommes infiniment reconnaissants à M. Lapointe de nous avoir permis de publier des extraits de son livre et de nous avoir parlé du conflit de 1906. Tous les faits contenus dans le présent article ont été tirés des livres de M. Lapointe et d’une entrevue téléphonique avec lui réalisée le 25 juin 2013.]


[1] Lapointe, Pierre-Louis. (1983). Buckingham : ville occupée. Diffusion Prologue inc. Ville Saint-Laurent, Québec.

[2] Idem

[3] Idem

[4] Idem

La grève qui a secoué le Canada

Pouvez-vous vous imaginer travailler douze heures par jour, six jours par semaine? On ne parle pas ici des obsédés du travail; on parle de la vie de tous les jours avant que les syndicats ouvriers ne voient le jour!

C’est à ce temps‑ci de l’année, en 1872, que les travailleurs de Hamilton et de Toronto commencent à réclamer des journées de travail de neuf heures. Parmi eux, il y avait des imprimeurs qui travaillaient pour le Toronto Globe et le Toronto Mail.

Le 25 mars 1872, des membres du Toronto Typographical Union quittent le travail. D’autres travailleurs torontois se joignent à eux en signe de solidarité. La grève des imprimeurs de Toronto atteint son paroxysme le 15 avril : 10 000 personnes qui sont de leur bord se joignent à la manifestation à Queens Park1.

George Brown, un des Pères de la Confédération et propriétaire du Toronto Globe, n’était pas très enchanté de ce grabuge. En fait, pendant la dernière grève de ses travailleurs, en 1854, M. Brown avait réussi à faire condamner des militants syndicaux pour « complot pour agir de concert avec d’autres personnes » (ce qui, selon nous, est synonyme de « se tenir debout »2!).

En fait, comme l’avait si bien fait remarquer ce bon vieux M. Brown, les lois canadiennes ne protégeaient aucunement les syndicats ouvriers3.

M. Brown a fait arrêter 13 membres du Toronto Typographical Union et ils ont été condamnés pour complot pour s’être tenus debout. Les dirigeants des syndicats ouvriers en avaient assez; ils ont rencontré le premier ministre John A. Macdonald et lui ont demandé de mettre fin à cette situation invraisemblable. (N.B. Le fait que M. Macdonald et M. Brown étaient des adversaires politiques… ça pourrait avoir aidé!)

La Loi des unions ouvrières a donc été adoptée en 1872. Et comme faire du piquetage est relativement important si vous faites partie d’un syndicat, en 1876, une loi britannique qui rendait le piquetage illégal a été abrogée4.

Une foi que les syndicats étaient protégés sous la loi, la semaine de 54 heures est devenue une demande commune dans les milieux syndiqués.5

Qu’est-il arrivé à ce bon vieux M. Brown?

Eh bien, en 1884, Christopher Bunting du Toronto Mail et lui se sont réunis avec d’autres éditeurs de Toronto pour imposer une réduction de salaire de 10 % aux imprimeurs. La grève que cette mesure a provoquée n’a pas porté fruit, mais les imprimeurs se sont fait un devoir de s’opposer à tous les candidats municipaux soutenus par le Toronto Mail6.

Ils ont même imprimé des dizaines de milliers de tracts dans lesquels ils demandaient aux gens de ne pas voter pour le candidat à la mairie que privilégiait le journal, soit M. Manning7.

Après la défaite du pauvre M. Manning, les propriétaires de journaux à Toronto ont compris qu’il fallait laisser les imprimeurs tranquilles (parce que, bien évidemment, les imprimeurs savent comment produire des tracts!)8.


[1] Hébert, G. « Grèves et lockouts ». L’Encyclopédie canadienne.

[2] Kealey, G. (1980). Toronto Workers Respond to Industrial Capitalism, 1867-1892. University of Toronto Press, Toronto, Canada.

[3] Idem.

[4] Guest, D. (1997) The Emergence of Social Security in Canada. 3e édition. UBC Press, Vancouver, Canada.

[5] Marsh, J. Les Origines de la fête du Travail.  L’Encyclopédie canadienne

[6] Kealey, G. (1980). Toronto Workers Respond to Industrial Capitalism, 1867-1892. University of Toronto Press, Toronto, Canada.

[7] Idem.

[8] Idem.