Fête du Travail ou congé de détente?

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Pendant leurs beaux jours, les défilés de la fête du Travail étaient un spectacle impressionnant. Les gens se rassemblaient le long des rues pour voir les chars allégoriques qui tenaient lieu de monuments dédiés à la contribution de chaque travailleur à la société. C’était un jour où plombiers et pompiers marchaient côte à côte pour symboliser l’unité qui régnait au sein de la classe ouvrière.

Toutefois, les défilés de la fête du Travail ont toujours dû faire concurrence à l’un des principaux buts de la fête : obtenir du temps libre pour s’adonner à des loisirs. De fait, pour de nombreux Canadiens, la fête du Travail évoque davantage une longue fin de semaine de détente au chalet que les tribulations du mouvement ouvrier.

« La tension a été créée au tout début », a expliqué M. Craig Heron, qui enseigne l’histoire à l’Université York. « Il s’agissait d’une célébration du travail qui, implicitement, avait une teinte politique ainsi que d’une journée de plaisir.

« Il est manifestement problématique d’essayer de continuer à concilier ces aspects. »

Selon M. Heron, la fête du Travail se portait bien avant que le Parlement n’en fasse une fête officielle. Selon The Workers’ Festival, livre qu’il a corédigé avec Steve Penfold, les défilés de la fête du Travail remontent au début des années 1880, soit bien des années avant que la journée ne soit officiellement reconnue à l’échelon fédéral (en 1894).

Elle a d’abord été célébrée à Toronto, en 1882, à Hamilton et Oshawa, en 1883, à London et Montréal, en 1886, à St.Catherines’, en 1887, à Halifax, en 1888 et à Ottawa et Vancouver, en 1887. [traduction]

À cette époque, les travailleurs demandaient seulement à leur municipalité locale de déclarer la journée fête civique.

« Ensuite, ils ne faisaient que la célébrer. Les travailleurs prenaient congé pour la journée, a expliqué M. Heron.  En 1894, [le Parlement est] seulement intervenu pour enchâsser dans la loi un fait accompli. »

Ce précieux congé était d’autant plus important à la fin du 19e siècle que les travailleurs n’avaient pas de vacances et que le samedi faisait partie de la semaine de travail.

« Les jours fériés – la fête de Victoria, la fête du Canada et un jour férié au mois d’août, dans certaines parties du pays – étaient les seules vacances. »

En fin de compte, M. Heron considère que le mouvement en faveur des vacances payées était une extension de la demande initiale concernant le congé automnal.

Comme il y avait si peu de congés, le défilé de la fête du Travail a fait face à un concurrent de taille dès le départ. Il n’a pas fallu longtemps aux dirigeants syndicaux pour déplorer le fait que de nombreux travailleurs choisissaient plutôt de passer cette journée de loisirs à la taverne ou à la salle de billard du quartier. Bientôt, le mouvement ouvrier était en concurrence avec un éventail d’autres choix de plaisirs vacanciers, où les forces du marché cherchaient à combler un vide.

Néanmoins, le défilé attirait toujours une foule impressionnante. Les spectateurs pouvaient entrevoir le travail d’un artisan et ses outils de travail. Pour les travailleurs, c’était une occasion de se présenter comme les rouages essentiels d’une société de producteurs. Pour les syndicalistes, c’était une démonstration de force du mouvement ouvrier, démonstration qui, l’espéraient-ils, attirerait davantage de travailleurs dans leurs rangs.

Mais cette situation devait changer au fil des ans.

« La fête du Travail a évolué, a expliqué M. Heron.  Ce que Steve et moi voulions souligner dans le livre, c’était comment elle a été réinventée un certain nombre de fois. »

Les défilés des années 1940 se caractérisaient par ce que M. Heron appelait « une tension plus vive », c’est-à-dire des manifestations enflammées s’apparentant davantage à celles de la Journée internationale des travailleurs. Après la Seconde Guerre mondiale, on a tenté d’intégrer l’activisme aux anciennes traditions.

« On montait un spectacle qui puisait dans les éléments culturels que les gens s’attendaient à voir dans un défilé; on ajoutait les clowns et les jolies filles en jupe courte, a expliqué M. Heron. Ces éléments, qui, aujourd’hui, nous semblent frivoles, coexistaient avec des chars allégoriques soulignant des enjeux cruciaux : “Que nous réserve l’automatisation?” “Nous avons besoin d’une assurance-maladie!” »

Graduellement, à mesure que le mouvement ouvrier entrait dans une période plus tumultueuse, dans les années 1970, les éléments frivoles ont été abandonnés en faveur d’activités qui étaient davantage axées sur la protestation.

Malgré ces fluctuations, une chose est demeurée constante : les défilés de la fête du Travail étaient une initiative populaire habituellement dirigée par un conseil du travail local.

À Ottawa, le défilé de la fête du Travail est organisé par le Conseil du travail d’Ottawa et du district. À quelques jours seulement du grand jour, la voix de Sean McKenny, président du Conseil du travail, résonne déjà avec fierté et enthousiasme.

« Tout est gratuit », de dire M. McKenny, en pressant tout le monde d’assister aux festivités. « Nous offrons des hot-dogs, du maïs en épi, des sacs de chips, des boissons gazeuses et du jus pour tout le monde – pour les enfants, nous avons un château gonflable et organisons des tours de poney. »

Depuis plus d’un siècle un défilé de la fête du Travail a lieu à Ottawa. Et depuis quelques années, les festivités se déroulent selon une formule standard : tout le monde se rassemble à l’hôtel de ville et marche vers un parc à proximité, où le plaisir se poursuit.

M. McKenny soutient que l’événement met davantage l’accent sur la famille et les loisirs que sur l’activisme et la protestation.

« L’une des choses que nous disons souvent, par ici, c’est : “Nous avons un peu plus de 360 autres jours dans l’année pour manifester et nous rassembler; alors aujourd’hui, nous allons nous amuser et célébrer tout le dur labeur que nous effectuons tout au long de l’année.”

M. McKenny fait valoir que, à Ottawa, le défilé est loin de rendre son dernier souffle. Après avoir participé à sa planification pendant plus de 20 ans, il affirme qu’il ne fait aucun doute que le taux de participation a augmenté. De plus, il espère que les attractions axées sur la famille constitueront le prolongement de la campagne du Congrès du travail du Canada, qui vise à brosser un tableau différent des syndicats – un tableau qui contredit les perceptions du public selon lesquelles les membres des syndicats sont radicaux et constamment en grève.

Dans la même veine, les festivités de la fête du Travail continuent d’être un moyen de communication important. Dans leur livre, MM. Heron et Penfold déclarent que les défilés « visaient à transmettre des messages puissants, symboliques et principalement non littéraires au sujet des valeurs sociales et politiques appropriées et des relations sociales acceptables. »

« Dans les années 1880 à 1890, il y avait tout le temps des défilés dans les rues, s’est exclamé M. Heron.  C’était un véritable mode de communication. On s’attendait à voir des défilés; on allait les regarder. Ce qu’on y présentait, l’aspect des gens, la façon dont ils étaient habillés et dont ils s’organisaient, ce qu’ils portaient et ce qu’ils montraient – tout cela était un mode de communication avec la foule qui regardait. »

Toutefois, à l’ère numérique, où les messages peuvent atteindre un public plus vaste, quelle que soit leur proximité avec un centre urbain, les défilés ont-ils encore leur place? Les ressources pourraient-elles être plus sagement investies ailleurs?

M. Heron soutient qu’il y a encore quelque chose de très puissant et viscéral à voir des gens se rassembler pour une manifestation publique.

« Je pense que cela s’inscrit dans le débat auquel tout le monde participe au sujet des médias sociaux, a‑t-il répondu. C’est un débat que nous tenons dans le milieu universitaire au sujet des cours en ligne : quel est l’avantage de rassembler les gens en personne, pour quelque raison que ce soit? »

Au lieu de remplacer l’acte qui consiste à descendre dans la rue, les médias sociaux peuvent servir à favoriser cet acte. Selon M. Heron, Occupy et Idle No More étaient d’excellents exemples de mouvements qui utilisaient ces outils efficacement afin de mobiliser un plus grand nombre de manifestants.

« Des gens qui se tiennent debout ensemble, qui marchent ensemble et qui se retrouvent quelque part en personne dégagent une puissance incroyable. On ne peut ressentir cela d’aucune autre manière.

« Grâce à ces événements, les gens ressentent de la fierté et ont l’impression d’avoir du pouvoir et d’être capables de grandes choses. C’est pourquoi, selon moi, dans les situations de grève et dans le cadre de manifestations, les gens y ont recours encore et encore comme moyen de montrer au monde qu’il y a des gens qui se préoccupent de leur cause et de ressentir une certaine solidarité. »

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Si le présent article vous a inspiré et incité à participer à votre défilé local de la fête du Travail, veuillez communiquer avec le conseil du travail local de votre district. À Ottawa, on espère recruter encore dix à vingt bénévoles.

L article s’appuie fortement sur les renseignements figurant dans le livre de Craig Heron et Steve Penfold intitulé The Workers’ Festival: A History of Labour Day in Canada. M. Heron est l’auteur de plusieurs livres sur le mouvement ouvrier canadien, notamment The Canadian Labour Movement: A Short History. Quelques membres du SEN figurent d’ailleurs sur la couverture de ce livre!

Nous remercions Craig Heron et le président du Conseil du Travail d’Ottawa et du district, Sean McKenny, d’avoir pris le temps de parler avec nous.